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Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Carrefour S.A. contre Joël Delestre

Litige n° D2003-0586

 

1. Les parties

Le requérant est Carrefour S.A., 6, avenue Raymond Poincaré, BP 419.16, 75769 Paris Cedex 16, France, représenté par Allen & Overy, France.

Le défendeur est Joël Delestre, 112, route du Havre, 76000 Rouen, France.

 

2. Noms de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine : <unmondeenor.com>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est Gandi SARL.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Carrefour S.A. auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 25 juillet 2003.

En date du 28 juillet 2003, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, Gandi SARL, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 30 juillet 2003.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés "Principes directeurs"), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les "Règles d’application"), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les "Règles supplémentaires") pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 8 août 2003, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 28 août 2003. Le défendeur a fait parvenir sa réponse le 27 août 2003.

En date du 3 septembre 2003, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Christian-André Le Stanc. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

L’unité d’enregistrement a indiqué le 30 juillet 2003, ne pas savoir en quelle langue le contrat d’enregistrement a été conclu. Cependant, la présente procédure sera menée en français, par application du paragraphe 11 des Règles d’application : en effet, demandeur et défendeur sont français et domiciliés en France; plainte et réponse ont été rédigées en français et la présente affaire est connexe à l’affaire D2003-0587, traitée en français en ce que notamment le contrat d’enregistrement la concernant a été conclu en français.

La commission administrative précise que la présente procédure (D2003-0586) est engagée entre les parties sur une demande émanée du requérant, Carrefour SA, tendant au transfert à son profit du nom <unmondeenor.com>, nom enregistré auprès de l’unité Gandi, tandis qu’une autre procédure (D2003-0587) engagée, à l’initiative du même requérant, contre Laretoucherie, tend au transfert au profit dudit requérant des noms de domaine <un-monde-en-or.com>, <polygone-or.com> et <polygoneor.com> enregistrés auprès de l’unité Namebay. Le défendeur, Laretoucherie, dans la procédure D2003-0587, et M. J. Delestre, dans la présente procédure, ont répondu par l’intermédiaire, dans les deux cas, de M. J. Delestre. Ce dernier, dans les réponses qu’il a transmises dans chacune des deux procédures a regroupé ses observations sur l’atteinte alléguée à la marque "un monde en or" dans sa réponse au titre de la présente procédure D2003-0586 et celles sur l’atteinte alléguée à la marque "le polygone d’or" dans sa réponse au titre de la procédure D2003-0587. La commission cependant, dans la présente procédure, ne se préoccupera, conformément à la plainte articulée, que du nom de domaine : <unmondeenor.com>.

 

4. Les faits

Le requérant, Carrefour SA, entreprise de distribution, est, notamment, titulaire :

Par cession, inscrite au Registre national des marques le 19 août 2002, de la marque française "un monde en or" déposée à l’Institut national de la propriété industrielle le 16 juin 1995 et enregistrée sous le n° 95/576 269 pour désigner dans la classe 14 : "Or, bijouterie en or, horlogerie et instruments chronométriques en or, épingles de cravate et fixe-cravate en or, boutons de manchettes en or, porte-monnaie en or, boîtes, coffrets, écrins et étuis en or, porte-clés en or, ornements de chapeaux en or, poudriers en or, fume-cigare et fume-cigarettes en or, insignes en or, barrettes pour cheveux en or."

Le défendeur a enregistré auprès de l’unité d’enregistrement Gandi le nom de domaine <unmondeenor.com> le 14 février 2003.

Le requérant demande dans le cadre de la présente procédure administrative que le nom de domaine soit transféré à son profit.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le requérant expose qu’il est titulaire de la marque semi-figurative "un monde en or" pour divers produits de la classe 14 et qu’il utilise le signe en cause dans ses publicités, prospectus, sur des panneaux d’affichage et comme élément de signalétique à l’intérieur de ses hypermarchés, ce qui n’est pas contesté par le défendeur.

Le requérant estime que le nom de domaine <unmondeenor.com> porte atteinte à la partie nominale, distinctive, de sa marque semi-figurative "un monde en or"; que l’accolement des mots du nom de domaine, ainsi que l’adjonction de ".com" sont inopérants, en sorte que le nom de domaine est identique ou à tout le moins similaire à la marque.

Le requérant soutient que le défendeur n’a aucun droit sur le nom de domaine en cause ni aucun intérêt légitime qui s’y attache et que pour le nom litigieux, le défendeur ne peut alléguer aucune des circonstances notamment prévues par le paragraphe 4, (c) des Principes directeurs.

Enfin, le requérant avance que le défendeur, M. Delestre, gère une société dénommée Bijourama ayant pour objet la commercialisation, notamment, de bijoux et d’articles d’horlogerie; que ledit défendeur ne pouvait donc ignorer la marque "un monde en or" exploitée publicitairement à l’extérieur et à l’intérieur des hypermarchés du requérant; que le nom de domaine litigieux ne correspond à aucun site accessible et que le défendeur, après avoir refusé de radier le nom en cause, a proposé au requérant la cession de ce nom, parmi d’autres, pour un prix excédant le montant des frais déboursés en rapport avec lesdits noms de domaine.

B. Défendeur

Le défendeur, dans sa réponse, et dans ses pièces, fait état de ce que la marque "un monde en or" n’est pas déposée au Canada, au profit du requérant, pays dans lequel le défendeur aurait entrepris d’utiliser le nom de domaine en cause.

Le défendeur expose avoir nourri en 1999 un projet d’ouverture multirégionales de sites Internet à vocation commerciale; qu’il est arrivé le premier en territoire vierge (Canada) et qu’en 2000, le requérant n’avait pas de stratégie Internet.

Le défendeur indique que le fait d’être français n’empêche pas d’être titulaire de sites à l’étranger.

Il estime que la formule : "un monde en or" est banale et il verse au dossier, en copie gravée, un compact-disc d’un groupe de musique nommé les "rapidos", interprétant un morceau intitulé "un monde en or" après avoir précisé que l’entreprise qu’il gère, Bijourama, n’est créée que depuis février 2002.

Le défendeur ajoute qu’après les premiers contacts entre les parties, il a supprimé le lien entre le nom <unmondeenor.com> (présenté comme canadien) et son site "bijourama.com", indiqué comme hébergé en France.

Il déclare qu’importuné par le requérant, et sollicité à plusieurs reprises par d’autres tiers, il a fini par proposer au requérant de lui vendre les quatre noms dont il disposait : <unmondeenor.com>, <un-monde-en-or.com>, <polygone-or.com> et <polygoneor.com> pour, selon ses termes "2286 euros par domaine et par année de renouvellement (…) tarif basé sur la valeur basse des sites de ventes aux enchères".

 

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15(a) des Règles d’application prévoit : "La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes Règles et à tout principe ou règle de droit qu’elle juge applicables."

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au requérant de prouver contre le défendeur, cumulativement, que :

"son nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produit ou de services sur laquelle le requérant a des droits;

"il n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache;

"son nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi."

Il convient donc d’envisager tour à tour chacune de ces conditions.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le requérant établit être titulaire de la marque française semi-figurative : "un monde en or" pour désigner divers produits de bijouterie de la classe 14. L’enregistrement ultérieur par le défendeur du nom de domaine <unmondeenor.com> constitue, selon la commission, une atteinte à ladite marque, par identité ou, à tout le moins, similitude prêtant à confusion.

En effet, l’accolement de chaque mot dans le nom de domaine n’affecte en rien la séquence des quatre mots qui demeure, sinon visuellement, du moins phonétiquement et intellectuellement identique (v. Litige OMPI No. D2000-1801); la présence dans le nom de domaine du ".com" ne constituant par ailleurs qu’un ajout nécessaire, sans pertinence dans la comparaison des signes en présence.

Le fait que ne soit alléguée dans le présent débat que la partie nominale de la marque ne change rien car ladite partie nominale dispose isolément de la distinctivité requise pour la désignation des produits revendiqués, de sa capacité d’attraction de la clientèle, et le point n’est pas contesté par le défendeur.

Le fait que le défendeur ait versé au débat une copie gravée et une photocopie de la jaquette d’un morceau de musique intitulé "un monde en or", interprété par un groupe nommé "Rapidos", ne modifie pas davantage la situation : outre qu’aucune date ne figure sur le support communiqué, la relative banalité d’une expression, son caractère éventuellement répandu, sont sans conséquence sur sa distinctivité à titre de marque.

Le défendeur a de surcroît précisé dans sa réponse que le nom litigieux a, un temps, renvoyé au site "bijourama" que le défendeur gère.

Enfin, même si le site sous le nom <unmondeenor.com>, prétendu en projet d’activation, n’est pas pour l’heure opérationnel, il n’en reste pas moins que les noms de domaine, spécialement en ".com", ont une vocation mondiale et sont donc à même d’affecter en France une marque française, peu important dès lors que le site soit, ou soit prévu pour être, hébergé au Canada.

La commission conclut que le nom de domaine en question est identique ou à tout le moins semblable au point de prêter à confusion, à une marque sur laquelle le requérant a des droits.

B. Droits ou légitimes intérêts

Il est établi que l’appel du nom de domaine litigieux ne donne aujourd’hui accès à aucun site.

Le requérant soutient dans sa plainte que le défendeur n’a pas de droits ou d’intérêts légitimes à avoir enregistré le nom de domaine litigieux.

Le défendeur, dans sa réponse, ne justifie pas de l’une ou l’autre des circonstances prévues, exemplativement par le paragraphe 4, c) des Principes directeurs, qui aurait fait nettement obstacle aux prétentions du requérant.

Le défendeur indique simplement avoir, depuis 1999, un projet d’ouvertures "multirégionales de sites Internets à vocation commerciale", alors que le nom de domaine dont s’agit, enregistré depuis février 2003, ne donnent à ce jour accès à rien (v. Litige OMPI No. D2000-0173).

L’argument qu’il avance sur son arrivée première au Canada est, comme vu ci-dessus, sans conséquence sur ses droits ou intérêts légitimes à avoir enregistré (auprès de Gandi, à Paris) le nom de domaine en cause, tout comme le caractère prétendu banal de la formule "un monde en or".

La commission surtout relève que la marque du requérant : "un monde en or", sans être notoire, est utilisée par le requérant dans les rayons bijouterie de ses grandes surfaces de distribution, ce que le défendeur ne conteste pas dans sa réponse, et que le défendeur, qui exerçait déjà une activité de bijouterie avant l’enregistrement du nom dont s’agit, ne pouvait donc pas ignorer l’existence de ces rayons.

L’ensemble des échanges entre les parties et le contexte de la situation révèlent ainsi que le défendeur n’a pas de droits ou d’intérêts légitimes afferents à la maîtrise du nom de domaine litigieux.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Malgré l’affirmation de la volonté du défendeur d’une ouverture multirégionale de sites Internet, force est de constater que depuis 2000, le nom <un-monde-en-or.com> (notamment objet de la procédure D2003-0587) et le nom <unmondeenor.com>, objet de la présente procédure, enregistré en février 2003, ne servent à rien. Dès lors, on comprend mal pourquoi ils ont été enregistrés, sinon à terme, dans une finalité de monnaiement.

Également au titre des présomptions précises et concordantes, la commission relève que le défendeur s’est investi dans un commerce électronique de bijouterie et objets similaires et que, lors de l’enregistrement du nom en cause, il n’ignorait pas l’utilisation par le requérant de la marque "un monde en or". Qu’en tous cas, il ne conteste pas ce point et fait notamment valoir pour sa défense que le requérant n’a pas eu de stratégie Internet et n’a pas su s’intéresser à la protection de ses marques au Canada où le défendeur est arrivé le premier, ce qui est hors du débat quant à l’application du paragraphe 4(a), (iii) des Principes directeurs. La commission estime, dans ces conditions, que l’enregistrement du nom en cause n’a pas été fait de bonne foi au sens du texte précité.

Quant à la question de l’usage du nom en cause, celui-ci (comme la plupart de ceux visés dans la procédure D2003-0587) est resté en jachère.

Le requérant a envoyé un premier courrier à l’entreprise la Retoucherie le 7 mars 2003, suivi d’un second courrier de même teneur à M. Delestre, le 8 avril 2003, demandant de radier les noms correspondant aux marques dudit requérant et notamment <unmondeenor.com>. A la suite d’un échange téléphonique, le requérant a écrit à M. Delestre, le 5 mai 2003, en proposant, notamment, d’acheter <unmondeenor.com> pour le montant des frais de dépôt. Le 13 mai 2003, M. Delestre a écrit au requérant et répondu qu’il pouvait céder au requérant <unmondeenor.com>, ainsi que <polygoneor.com>, <polygone-or.com> et <un-monde-en-or.com>, si le requérant faisait "une offre sérieuse et réaliste" en précisant qu’à défaut d’accord, il se réservait "la possibilité de céder aux enchères ou à des tiers, voire utiliser (ses) noms de domaine nord américain". Le 21 mai 2003, le requérant a pris acte de la proposition et demandé une conre-offre pécuniaire. Le 26 mai 2003, M. Delestre a proposé la cession globale des quatre noms de domaine, affectant les marques du requérant, en contrepartie de la somme de 39.640, 18 euros ou de l’entrée du groupe Carrefour dans le capital de Bijourama, entreprise de M. Delestre.

Ces divers échanges établissent, selon la commission, que le défendeur n’avait pas un attachement particulier aux divers noms qu’il avait enregistrés; qu’il menaçait, si la cession amiable au requérant des noms en cause n’aboutissait pas, parmi d’autres possibilités, de "vendre aux enchères" ces noms et que la somme sollicitée par le défendeur de 39.640, 18 euros pour la cession de ces quatre noms (prétendument "hébergés et travaillés depuis quatre ans") excède largement le montant des frais que ledit défendeur aura déboursé en rapport direct avec ces noms, frais dont le défendeur, d’ailleurs, ne fournit aucune justification quantifiée.

Et il sera ajouté pour le nom de domaine, objet de la présente procédure, nom enregistré en février 2003, que le "travail" allégué n’a pas du être considérable.

La commission estime, dans ces conditions, que l’utilisation du nom en cause n’a pas été faite de bonne foi au sens du paragraphe 4(a), (iii) des Principes directeurs.

 

7. Décision

Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, conformément aux paragraphes 4(a) (i à iii) des Principes directeurs et 15 des Règles d’application, la commission ordonne que le nom de domaine : <unmondeenor.com>, soit transféré au requérant : Carrefour SA.

 


 

Christian-André Le Stanc
Expert Unique

Le 14 septembre 2003

 

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