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Centre d’arbitrage et de Mйdiation de l’OMPI

 

DECISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Barterforum C. v. Mr. Charles Le Menestrel

Dйcision n°D2000-1599

 

1. Les parties en prйsence

1. La Requйrante, la sociйtй BARTERFORUM, reprйsentйe par Martine DEHAUT, Conseil en propriйtй industrielle.

Le Dйfendeur, Mr. Charles LE MENESTREL est non reprйsentй.

 

2. Rappel des faits

2. La sociйtй BARTERFORUM est propriйtaire de la marque française «BARTERFORUM» dйposйe le 21 dйcembre 2000, а l’INPI pour dйsigner des produits et services dans les classes 16, 38 et 41 de la classification internationale. Elle est йgalement propriйtaire des noms de domaines «barterforum.com» et «barter-forum.com».

3. Elle reproche au Dйfendeur, Mr. Charles LE MENESTREL, d’avoir dйposй а son nom et pour son compte, les noms de domaine «barterforums.com» et «barter-forums.com» alors qu’il йtait encore son salariй. Par ailleurs, Mr. Charles LE MENESTREL, est actuellement employй d’un de ses concurrents directs а savoir la sociйtй MRI International.

 

3. Sur certains aspects procйduraux du prйsent arbitrage

4. La prйsente procйdure est une procйdure «rйputйe contradictoire», rendue sur les seuls arguments soulevй par la Requйrante. En effet, elle oppose celle-ci, la sociйtй BARTERFORUM, au Dйfendeur, Mr. Charles LE MENESTREL, qui n’a pas trouvй utile de prйsenter ses arguments. Se pose donc prйalablement la question de savoir si l’Arbitre saisi peut, ou mкme doit, invoquer certains arguments que le Dйfendeur aurait raisonnablement pu faire valoir. Il apparaît de la jurisprudence du Centre d’arbitrage et de mйdiation de l’OMPI (notamment n°D2000-490, France Telecom v. Domain) que les arbitres du Centre ont coutume de relever d’office les arguments qu’aurait pu faire valoir un Dйfendeur. Au regard du principe йlйmentaire de non discrimination qui fait partie du droit positif (dans ce sens la jurisprudence administrative de l’OHMI Dйc. Ch. Rec. N°20/97, XTRA, JO OHMI 10/98 p. 1055). Il convient donc de tenir compte d’йlйments de faits et de droits qui ne figurent pas dans le mйmoire de la Requйrante et que le Dйfendeur aurait raisonnablement pu invoquer.

5. Le prйsent litige qui concerne la propriйtй de deux noms de domaines dit «de premier niveau» (gTLDs), que l’on peut par leur nature qualifier «d’internationaux», est soumis au Centre d’arbitrage et de mйdiation de l’OMPI. En d’autres termes, ce litige ne concerne pas des noms de domaines nationaux, et il n’a pas йtй soumis aux tribunaux français, alors qu’au regard du droit positif français, la Requйrante aurait certainement pu, les saisir, sans doute avec succиs (TGI Bordeaux ord. rйf. 22 juill. 1996, Atlantel c/ Icare, PIBD 1997, II, 274). En tout йtat de cause, il doit кtre tranchй selon les principes directeurs rйgissant le rиglement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaines de l’ICANN, ainsi que, compte tenu du principe de non discrimination auquel nous avons dйjа fait allusion, donc au regard de la jurisprudence majoritaire rendue а ce jour par le Centre d’arbitrage et de mйdiation de l’OMPI.

6. Il est reconnu par la majoritй des dites dйcisions que les noms de domaines se distinguent des marques traditionnelles par leur nature et leur fonction, et les litiges relatifs а des noms de domaines «internationaux» doivent кtre apprйciйs dans un contexte transnational, afin de tenir compte de la dimension planйtaire d’Internet (Dйc. N°D2000-443, Jacques Lafitte SA v. 21th Century Communication SCP, n°D2000-489, France Tйlйcom v. Les Pages Jaunes Francophones).

 

4. Les noms de domaines du Dйfendeur sont effectivement «semblables» а la marque antйrieure de la Requйrante et sont susceptibles de «prкter а confusion»

7. Il ressort des piиces versйes aux dйbats que la Requйrante est bien titulaire de la marque française «BARTERFORUM» dйposйe le 21 dйcembre 2000, а l’INPI pour dйsigner des produits et services dans les classes 16, 38 et 41 de la classification internationale.

8. Les noms de domaines, objet du litige, «barterforums.com» et «barter-forums.com» enregistrйs le 7 mai 2000, par le Dйfendeur sont effectivement «semblables» (pour utiliser le terme employй а l’article 4.a.1 des principes directeurs de l’ICANN), а la marque antйrieure de la Requйrante.

9. Cependant, l’article 4(a)1 des principes directeurs de l’ICANN exige non seulement que le nom de domaine litigieux soit «identique ou semblable» а la marque de la Requйrante, comme en l’espиce, mais йgalement que cette d’identitй ou cette similitude soit de nature «а prкter а confusion… avec la marque de la Requйrante». Procйduralement et pratiquement la dйmonstration de ce risque de confusion, qui doit en principe reposer sur «des critиres objectifs», appartient а la Requйrante, mais en tout йtat de cause elle doit tenir compte de la distinctivitй de la marque. Nйanmoins, mкme en l’absence de tels critиres on peut en conclure, que la quasi-identitй qui existe entre la marque de la Requйrante et les noms de domaines du Dйfendeur est susceptible de prкter а confusion.

 

5. Le dйfendeur n’aurait aucun droit ou aucun intйrкt lйgitime sur les noms de domaine

10. La jurisprudence française traditionnelle a systйmatiquement considйrй qu’un terme anglais, mкme descriptif ou gйnйrique, constituait un signe distinctif et donc une marque valide, dиs lors que le consommateur français n’йtait pas censй connaître la langue anglaise. Ainsi le 30 janvier 1998, la 4иme Chambre de la Cour d’Appel de Paris a encore validй cette thйorie en indiquant ainsi que le mot «translation» constituait une marque valide pour dйsigner des services de traduction (RWS Translation c/ Getten, PIBD 1998, III, 219, Ann. 1998, 194). Au regard de cette jurisprudence, la marque BARTERFORUM devrait effectivement кtre considйrйe comme distinctive.

11. Pourtant, le mot anglais «barter» qui figure dans tous les dictionnaires anglais, ou anglais/français, peut кtre traduit par «troc» ou «йchange» (c.f. ROBERT & COLLINS, Dictionnaire Anglais Français, 1991). Quant au mot «forum» qui est d’origine latine il est couramment employй en anglais ou français afin de dйsigner «une place centrale» pour ne pas dire une «place publique». L’expression BARTER FORUM se traduit donc littйralement comme «une place ou un lieu d’йchange ou de troc». Par ailleurs, il apparaît des documents versйs aux dйbats et notamment l’Annexe n°9 que la requйrante, se prйsente comme une sociйtй «d’йchanges de marchandises». La marque, aussi bien que la dйnomination sociale BARTERFORUM apparaît donc dans ce contexte, dйpourvue de tout caractиre distinctif, ou а tout le moins, comme faiblement distinctive pour toute personne qui connaît un peu l’anglais, comme c’est, en principe, le cas de tout internaute.

12. Si l’on se rйfиre а la Convention d’Union de Paris, au Rиglement sur la marque Communautaire, а la Premiиre Directive sur l’Harmonisation des marques, а la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautйs Europйennes (CJCE), où mкme а la jurisprudence administrative de l’Office d’Harmonisation du Marchй Intйrieur (OHMI), on constate qu’un signe faiblement distinctif peu nйanmoins bйnйficier d’une protection, plus ou moins large, compte tenu de sa notoriйtй. Dans le cas d’espиce, la Requйrante n’a invoquй aucune notoriйtй. Elle aurait d’ailleurs йtй dans l’impossibilitй de le faire, car il apparaît que sa marque est relativement rйcente puisque son dйpôt est du 21 dйcembre 1999). En conclusion, si la Requйrante peut invoquer un droit antйrieur sur la marque BARTERFORUM ce droit est discutable compte tenu de son caractиre descriptif, au mieux il serait extrкmement faible et ne pourrait interdire son utilisation avec quelques variations par des tiers y compris а titre de nom de domaine, comme c’est le cas en l’espиce. Ainsi, dans de nombreuses dйcisions de l’OMPI il a йtй jugй que «lorsqu’un commerçant adopte а titre de marque un nom gйnйrique, de lйgиres diffйrences sont suffisantes pour distinguer la marque de commerce d’un concurrent» (Dйc. n°D2000-1144, Vert Tech Ltd v. Computer Chronicles, n°D2000-109 Gateway v. Pixelera), comme c’est le cas en l’espиce.

13. En d’autres termes, le Dйfendeur pourrait – peut-кtre - exciper «d’un droit sur le nom de domaine ou d’un intйrкt lйgitime qui s’y rattache» compte tenu du caractиre descriptif de l’expression «barter forum» appliquй а un service de troc ou d’йchange de marchandises sur internet (dans ce sens Dйc. D2000-105, Pet Warehouse v Pets Com Inc, n°D2000-161, Zero Int’l Hldg v. Beyonet Services). Cependant, dиs lors que le Dйfendeur ne s’est pas manifestй, il convient de conclure que celui-ci est dans l’impossibilitй d’exciper de ce droit (Note 1). Par ailleurs ; la sociйtй concurrente de la Requйrante dans laquelle travaille le Dйfendeur actuellement utilise la dйnomination sociale MRI International et il n’est pas dйmontrй que celle-ci ait besoin des noms de domaines du Dйfendeur pour commercer. On peut donc en conclure, dиs lors, que le Dйfendeur n’a aucun intйrкt lйgitime а utiliser les noms de domaines «barterforums.com» et «barter-forums.com».

 

6. Les noms de domaines ont йtй enregistrйs de mauvaise foi par le Dйfendeur

14. Au regard des principes directeur de l’ICANN le transfert d’un nom de domaine ne peut кtre ordonnй que si le Dйfendeur a «enregistrй ou utilisй le nom de domaine de mauvaise foi». L’article 4.b des dits principes directeurs indique les exemples de circonstances qui peuvent кtre considйrйes comme des preuves de l’enregistrement ou de l’utilisation de mauvaise foi d’un nom de domaine. A l’йvidence comme le note la Requйrante cette liste n’est pas limitative.

15. Au regard des piиces versйes aux dйbats on constate que lorsque le Dйfendeur a enregistrй а son nom et pour son compte les noms de domaines «barterforums.com» et «barter-forums.com» il йtait encore salariй de la sociйtй TRADING & COMPENSATION, filiale dйtenue а 99,97% par la sociйtй BARTERFORUM. Il est certain qu’en ce faisant il a dйlibйrement portй atteinte а la marque et а la dйnomination sociale de la holding qui contrôlait son employeur, et en fraude des droits de celui-ci. En consйquence, il apparaît que les noms de domaines «barterforums.com» et «barter-forums.com» ont йtй enregistrйs de mauvaise foi par le Dйfendeur.

 

7. La dйcision

16. En consйquence de ce qui prйcиde, vu l’article 4(a) des principes directeurs de l’ICANN, il convient d’ordonner le transfert au profit de la Requйrante des noms de domaines «barterforums.com» et «barter-forums.com».

 


 

Andrй R. BERTRAND
Arbitre Unique

Le 2 Fйvrier 2001

 


 

Note:

1. Dans le cas de la prйsente procйdure mкme si de nombreux йlйments йtablissent la mauvaise foi du Dйfendeur, on aurait nйanmoins pu adopter une autre solution si l’on considиre que la marque et la dйnomination sociale BARTERFORUM ne constituent pas des signes distinctifs. Nul ne contesterait en effet а l’employй d’une entreprise qui possйderait le nom de domaine «commerce.com» de s’йtablir а son compte et de vendre des services identiques а celui de son ancien employeur sous le nom de domaine «commerces.com». Cette solution reste йgalement valide au regard de la clause de non-concurrence qui figurait dans le contrat de travail du Dйfendeur, clause dont la validitй devra, par ailleurs, кtre objectivement apprйciйe par le Conseil des Prud’hommes saisi du litige relatif au licenciement du Dйfendeur. Le Dйfendeur aurait pu certainement invoquer quelques arguments de nature а justifier l’enregistrement а son profit des noms de domaines «barterforums.com» et «barter-forums.com» et mкme – йventuellement - dйmontrer une absence de mauvaise foi de sa part. Il a prйfйrй ne pas participer а la prйsente procйdure et n’a prйsentй aucun argument pour justifier de ses agissements. La majoritй des dйcisions rendues а ce jour par le Centre d’arbitrage et de mйdiation de l’OMPI n’ont pas tenu grief aux dйfendeurs qui ne s’йtait pas manifestйs. On peut mкme citer, ici et lа, des dйcisions qui ont donnй raison, et refusй le transfert de noms de domaines au prйjudice dйfendeurs qui ne s’йtaient pas manifestйs (n°D2000-490, France Telecom v. Domain). Comme l’a soulignй la Requйrante, la liste des exemples de circonstances qui peuvent кtre considйrйs comme des preuves de l’enregistrement ou de l’utilisation de mauvaise foi d’un nom de domaine qui figure а l’article 4(b) des dits principes directeurs de l’ICANN n’est pas limitative. Dans le cas d’espиce, on peut se demander s’il ne conviendrait pas d’ajouter а cette liste le fait que le Dйfendeur n’ait pas entendu participer а la procйdure d’arbitrage et faire connaître ces arguments. En effet, toute personne physique et morale qui s’engage aujourd’hui а dйposer un nom de domaine de premier niveau s’engage par le fait mкme а accepter la procйdure d’arbitrage selon les principes directeur de l’ICANN. Il nous semble qu’accepter cette procйdure implique non seulement une adhйsion aux principes directeurs de l’ICANN mais йgalement une participation active а ceux-ci que ce soit en tant que Requйrant ou Dйfendeur. Il convient de rappeler а ce propos que dans le cadre de la procйdure devant le Centre d’arbitrage et de mйdiation de l’OMPI, le Dйfendeur n’a pas а exposer de frais d’arbitrage ou de conseil, qu’il peut prйsenter ses arguments sur un formulaire йlectronique type sur lequel figure plusieurs moyens de rйponse ou utiliser ce formulaire comme canevas d’observations qu’il peut faire parvenir а l’OMPI par courrier. De ce fait, il nous semble йgalement qu’en ne rйpondant pas aux arguments de la Requйrante on ne peut кtre que confortй dans l’opinion selon laquelle le Dйfendeur a effectivement agi de mauvaise foi.

 

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