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Centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Les Publications Condé Nast contre Grégory Derderian

Litige n° D2004-0076

 

1. Les parties

Le requérant est Les Publications Condé Nast, Paris, France, représenté par Fabienne Fajgenbaum, France.

Le défendeur est Grégory Derderian, Paris, France, représenté par Patrick Derderian, France.

 

2. Nom de domaine et unité d'enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <parisinvogue.com>.

L'unité d'enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est OVH.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Les Publications Condé Nast auprès du Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le "Centre") en date du 28 janvier 2004.

En date du 29 janvier 2004, le Centre a adressé une requête à l'unité d'enregistrement du nom de domaine litigieux, OVH, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L'unité d'enregistrement a confirmé l'ensemble des données du litige en date du 20 février 2004.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés "Principes directeurs"), aux Règles d'application des Principes directeurs (ci-après dénommées les "Règles d'application"), et aux Règles supplémentaires de l'OMPI (ci-après dénommées les "Règles supplémentaires") pour l'application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d'application, le 20 février 2004, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d'application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 11 mars 2004. Le défendeur a fait parvenir sa réponse le 9 mars 2004.

En date du 2 avril 2004, le Centre nommait dans le présent litige une Commission administrative d'experts ( Panelists) composée de Christian Le Stanc, Président, Christophe Caron et Isabelle Leroux. La Commission administrative constate qu'elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d'application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d'acceptation et une déclaration d'impartialité et d'indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d'application.

L'unité d'enregistrement a indiqué le 20 février 2004, que le contrat d'enregistrement du nom de domaine en cause a été établi en français ; plainte et réponse ont été faites en français, en sorte que la présente procédure sera menée en français, par application du paragraphe 11 des Règles d'application.

 

4. Les faits

Le requérant, les Publications Condé Nast, qui édite en France le magazine de mode « Vogue Paris » est titulaire de nombreuses marques constituées du signe nominal « vogue ».

Le requérant est titulaire de la marque française « vogue », n° 95/575 583 déposée le 13 juin 1995, pour divers produits ou services des classes 9, 16, 35, 38, 39, 41 et 42.

Il est titulaire également des marques « vogue » n° 1.499.088, déposée le 18 novembre 1988, et 1. 330.837, déposée le 13 novembre 1995, pour divers produits ou services des classes 1 à 42.

Le requérant dispose aussi de nombreuses marques internationales ou étrangères comportant ledit signe.

Le requérant a par ailleurs enregistré le 18 avril 2000, le nom de domaine <vogueparis.com> ouvrant le site Vogue Paris destiné à la promotion du magazine du même nom.

Le 4 janvier 2003, le défendeur a enregistré auprès de l'unité d'enregistrement OVH le nom de domaine <parisinvogue.com> qui affiche une page comportant les mots : « mode », « fashion » et « trendy ».

Le requérant demande, dans le cadre de la présente procédure administrative, que le nom de domaine <parisinvogue.com> soit transféré à son profit.

 

5. Argumentation des parties

A. Requérant

Le requérant expose qu'il édite en France le magazine de mode «Vogue » et qu'il est titulaire notamment des marques françaises « vogue », n° 95/575 583 déposée le 13 juin 1995, pour divers produits ou services des classes 9, 16, 35, 38, 39, 41 et 42 ; n° 1.499.088, déposée le 18 novembre 1988, et 1. 330.837, déposée le 13 novembre 1995, pour divers produits ou services des classes 1 à 42. Il ajoute que le magazine « Vogue », publié en France depuis 1920, est édité, connu et lu dans le monde entier ; que la marque « Vogue » est notoire et que le nom de domaine du défendeur <parisinvogue.com> est semblable au point de prêter à confusion avec la marque dont s'agit.

Le requérant soutient que le défendeur n'a aucun droit sur le nom de domaine en cause ni aucun intérêt légitime qui s'y attache et qu'à propos du nom litigieux, le défendeur ne peut alléguer aucune des circonstances notamment prévues par le paragraphe 4 ( c) des Principes directeurs. Il souligne spécialement que le défendeur s'est contenté de mettre en ligne une seule page sur laquelle aucun produit ou service n'est offert ; que ledit défendeur n'est pas connu sous le nom en cause, qu'il n'en est pas licencié et que la notoriété de la marque « Vogue » a pour conséquence que le défendeur dont le nom « parisinvogue » renvoie à une page contenant les mots « mode », « fashion », « trendy », suscite un risque de confusion avec les marques du requérant.

Le requérant avance, enfin, qu'en réponse à une lettre de mise en demeure, le défendeur a proposé au requérant le transfert du nom litigieux contre indemnisation des frais d'enregistrement et d'hébergement ; que le requérant a demandé, alors, que la demande pécuniaire soit justifiée et quantifiée et que, plus tard, le défendeur s'est simplement déclaré prêt à restituer le nom en contrepartie de la somme forfaitaire du 1.500 euros. Le requérant estime que pareille attitude est constitutive d'un enregistrement effectué et utilisé de mauvaise foi pour obtenir un prix excédant le montant des frais déboursés en rapport direct avec le nom de domaine.

B. Défendeur

Le défendeur, dans sa réponse, indique que la création de sites internet est son passe-temps favori ; que le choix du terme « vogue » dans le nom « parisinvogue » (formule anglaise de « paris en vogue ») était justifié par son sens habituel de « réputation, popularité » et qu'en décembre 2002, il a souhaité créer sous ce nom un site, pour les 16-25 ans, dont le « concept »  était de « relater la mode à Paris, la musique fashion et les restaurants et bars trendy » .

Il s'étonne de ce que le requérant veuille s'approprier tout ce qui contient le mot « vogue » et précise que les moteurs de recherches affichent de très nombreuses références d'activités diverses à l'appel de «  paris vogue ».

Il ajoute que la séquence « parisinvogue » est un tout dans lequel le mot « vogue » se trouve placé à la fin et que sur le site accessible par <parisinvogue.com> le mot « vogue » n'est pas majoritaire et que « paris » est le principal titre.

Le défendeur note enfin que la somme de 1.500 euros qu'il a demandée au requérant pour lui restituer amiablement le nom litigieux est dérisoire au regard des frais engagés par le requérant pour mener la présente procédure.

 

6. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15 (a) des Règles d'application prévoit : « La commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes Règles et à tout principe ou règle de droit qu'elle juge applicable ».

Le paragraphe 4 (a) des Principes directeurs impose au requérant de prouver contre le défendeur, cumulativement, que :

Le nom de domaine du défendeur « est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produit ou de services sur laquelle le requérant a des droits » ;

Le défendeur « n'a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s'y attache » ;

Le nom de domaine du défendeur « a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi ».

Il convient donc d'envisager tour à tour chacune de ces conditions.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Le requérant justifie être titulaire depuis longtemps de marques sur le signe « Vogue », exploité notamment pour l'édition d'un magazine consacré à la mode, essentiellement vestimentaire.

La marque « Vogue » est, de plus, notoire comme l'ont relevé diverses décisions ( TGI Paris, 3ème ch., sect.1, 14 décembre 1997 ; TGI Strasbourg, 1ère ch., 27 octobre 1998 ; CA Lyon, 1ère ch., 2ème sect., 8 janvier 1990 ; Affaires OMPI D2003-0526 ; D2002-0797 ; D2002-0803 ; D2002-0907).

Sans doute le requérant ne détient pas de droits de marques sur une dénomination qui associerait le mot « Paris » au mot « Vogue ». Il n'en demeure pas moins que le requérant indique de façon constante la ville importante connotant une idée de mode à laquelle il se relie. Il en est ainsi en France depuis des décennies où le mot « Paris » est inscrit dans le « O » de «Vogue ».

Il a par ailleurs été décidé que l'ajout par des tiers d'une indication géographique générique au terme « vogue » dans un nom de domaine n'évitait pas la confusion avec la marque (Litige OMPI No. D2001-1049 <vogueaustralia.com> ; Litige OMPI No. D2003-0526 - <voguebritain.com> etc.- ; Litige OMPI No. D2003-0526 - <voguechina.com>).

Dès lors, la reprise au sein de l'ensemble complexe <parisinvogue.com> de la marque du requérant ne peut qu'inciter le public à croire qu'il s'agit là d'une déclinaison de la marque « Vogue ».

Le risque de confusion est encore accru en raison de ce que le nom de domaine litigieux renvoie à une page comportant les mots « fashion (mode), mode, trendy (tendance) », laissant croire à l'internaute que ledit site aura vocation à traiter de la mode, sans que rien ne permette de suggérer que « fashion » correspondrait à de la musique ni que « trendy » s'appliquerait à des restaurants ou débits de boisson où il serait de bon ton d'être vu.

Il sera également souligné que le requérant dispose depuis le 18 avril 2000, d'un nom de domaine <vogueparis.com> pour un site dédié à la mode.

Il ne saurait donc être prétendu que le requérant s'arrogerait ainsi un monopole sur le mot « vogue » en général. Ce terme n'est ici revendiqué que pour l'activité spécifique de la mode et associé à la ville de Paris et, une fois encore, la marque « vogue » est devenue notoire.

La commission conclut que le nom de domaine en question est identique ou à tout le moins semblable à une marque sur laquelle le requérant a des droits.

B. Droits ou légitimes intérêts

Le défendeur ne justifie nullement d'avoir obtenu une quelconque autorisation du requérant d'exploiter la marque « Vogue » ni d'avoir fait un usage antérieur de bonne foi de cette dénomination dans ses activités personnelles, professionnelles ou estudiantines. En effet, aucune offre de produits ou de services n'a été effectuée antérieurement au début de la procédure. Par ailleurs, la page web à laquelle envoie le nom de domaine est insignifiante et ne permet pas de justifier de l'existence de droits ou de légitimes intérêts, ce qui d'ailleurs n'est pas même allégué par le défendeur dans le cadre de ses échanges de correspondance avec le requérant.

Les échanges entre les parties, la plainte, la réponse et le contexte de la situation révèlent ainsi que le défendeur n'a pas de droits ou d'intérêts légitimes afférents à la maîtrise du nom de domaine litigieux .

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

La commission estime que le défendeur, en enregistrant le nom de domaine « parisinvogue » pour un prétendu site qui relaterait la mode et tout ce qui est « en vogue » à Paris pour la jeunesse dite « branchée », ne pouvait pas ignorer l'existence de la marque notoire « Vogue » et le magazine du même nom.

La simple idée de « mode », alléguée par le défendeur, associée au nom « vogue » dans l'enregistrement du défendeur, permet de décider que ce dernier, lors dudit enregistrement en janvier 2003, avait parfaitement et nécessairement connaissance des droits antérieurs détenus par le requérant, sans qu'il soit besoin de relever les brillantes études auxquelles le défendeur se destine depuis l'enregistrement litigieux et la culture générale qu'elles impliquent.

Il sera ajouté que la page internet à laquelle renvoie le nom de domaine en cause, en raison non seulement du peu d'informations qu'elle contient, mais encore du peu de justifications apportées par le défendeur, démontre que le nom de domaine n'a pas été enregistré de bonne foi, mais aux seules fins d'éventuellement le revendre.

A cet égard, la somme de 1.500 euros réclamée par le défendeur excède manifestement les frais déboursés en rapport direct avec le nom de domaine, - les frais d'hébergement, dans le cas peu utile, n'en faisant point partie, pas plus que la « perte de chance » au contenu plus qu'incertain.

En outre, puisque la création de site constitue un passe-temps du défendeur aux dires de son représentant, cette activité, si elle devait se développer, pourrait se révéler lucrative dans la mesure où les noms de domaines seraient alors, comme en l'espèce, proposés à la vente pour des sommes dépassant les seuls frais d'enregistrement.

Assurément, comme le relève le défendeur, la somme sollicitée de 1.500 euros, pour une rétrocession amiable du nom de domaine en cause, est inférieure aux frais qui auront été engagés par le requérant pour mener la présente procédure administrative.

Il reste qu'il apparaît légitime qu'un titulaire de droits de propriété intellectuelle, pour faire cesser un comportement incorrect, refuse de payer des sommes dont le détail n'est pas justifié et refuse de se plier aux exigences financières articulées, quand bien même eût-il été moins onéreux pour ledit titulaire d'accepter la proposition et de renoncer à l'exercice des voies de droit, d'autant qu'il est constant que les propriétaires de marques connues ont l'obligation de les défendre, notamment pour en éviter la dégénérescence .

La commission estime, dans ces conditions, que l'enregistrement et l'usage du nom en cause n'ont pas été faits de bonne foi au sens du paragraphe 4 (a) (iii) des Principes directeurs.

 

7. Décision

Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, conformément aux paragraphes 4 (a) (i à iii) des Principes directeurs et 15 des Règles d'application, la commission ordonne que le nom de domaine <parisinvogue.com> soit transféré au requérant : les Publications Condé Nast SA.

 


 

Christian Le Stanc
Président de la commission

Christophe Caron
Expert

Isabelle Leroux
Expert

Le 12 avril 2004

 

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