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Centre d’arbitrage et de mйdiation
de l’OMPI
DЙCISION DE L’EXPERT
Ada-Michaela Ciobanu contre Marcel Mot
Diffйrend n° DCH2006-0009
1. Les parties
La requйrante est Mme Ada-Michaela Ciobanu, Genиve, Suisse, reprйsentйe par Me Philippe Azzola, Genиve, Suisse.
Le dйfendeur est M. Marcel Mot, Lausanne, Suisse, reprйsentй par Me Jean-Daniel
Thйraulaz, Lausanne, Suisse.
2. Le nom de domaine
Le diffйrend concerne le nom de domaine <ciobanu.ch>.
3. Rappel de la procйdure
La requйrante a dйposй une demande auprиs du Centre d’arbitrage et de mйdiation de l’Organisation Mondiale de la Propriйtй Intellectuelle (ci-aprиs dйsignй le “Centre”) par voie postale le 13 avril 2006 et sous forme йlectronique le 25 avril 2006.
En date du 20 avril 2006, le Centre a adressй une requкte au registre SWITCH, aux fins de vйrification des йlйments du litige, tels que communiquйs par la requйrante. Le mкme jour, SWITCH a confirmй que la partie adverse est bien le dйtenteur du nom de domaine <ciobanu.ch>, a transmis les coordonnйes de celle-ci et a confirmй que les Dispositions relatives а la procйdure de rиglement des diffйrends pour les noms de domaine .ch et .li (ci-aprиs les “Dispositions”) du 1er mars 2004 йtaient applicables au nom de domaine objet du diffйrend.
Le Centre a vйrifiй que la demande rйpond bien aux exigences des Dispositions.
Conformйment au paragraphe 14 des Dispositions, le 25 avril 2006, une transmission de la demande valant ouverture de la prйsente procйdure a йtй adressйe au dйfendeur.
Le 16 mai 2006, le dйfendeur a requis une prolongation du dйlai de rйponse. Le 19 mai 2006, le Centre lui a accordй une prolongation de cinq jours, soit jusqu’au 24 mai 2006.
Le dйfendeur a adressй sa rйponse au Centre le 24 mai 2006 par voie йlectronique.
En date du 12 juin 2006, le Centre a adressй le dossier а un conciliateur. La conciliation n’a abouti а aucune transaction entre les parties.
En date du 6 juillet 2006, la procйdure a йtй suspendue sur demande du conciliateur (avec l’accord des deux parties) conformйment au paragraphe 8 des Dispositions. Une extension de la suspension a eu lieu le 4 aoыt 2006. La procйdure a йtй rй-instituйe en date du 28 aoыt 2006.
En date du 21 septembre 2006, le Centre a nommй comme expert dans le prйsent
diffйrend Anne-Virginie La Spada-Gaide. L’expert constate qu’elle
a йtй dйsignйe conformйment aux Dispositions. L’expert a adressй au Centre
une dйclaration d’acceptation et une dйclaration d’impartialitй
et d’indйpendance, conformйment au paragraphe 4 des Dispositions.
4. Les faits
La requйrante est Mme Ada-Michaela Ciobanu, veuve de l’artiste peintre et sculpteur Mircea Ciobanu, nй а Bucarest le 15 avril 1950 et dйcйdй а Genиve le 9 janvier 1991. Depuis la mort de son mari, la requйrante assure la promotion de ses œuvres. Elle a notamment rйalisй un dossier prйsentant l’artiste Ciobanu.
Le dйfendeur est M. Marcel Mot. Il a enregistrй le nom de domaine litigieux le 23 septembre 2002. Le dйfendeur exploite ce nom de domaine en connexion avec un site Internet dйdiй а la prйsentation de l’œuvre de Mircea Ciobanu. Le site comprend des centaines de reproductions des œuvres de cet artiste, regroupйes en quatre “galeries d’images” qui sont consacrйes respectivement aux tableaux, peintures а l’huile, aquarelles et bronzes. Dans chaque galerie, les œuvres apparaissent sous forme de vignettes. L’internaute se voit proposer les options suivantes en regard de chaque image : “voir en grande taille”, “tйlйcharger l’image” et “renseignements sur cette œuvre”. Le site ne comprend pas d’indication relative а la personne ou aux personnes qui l’exploitent.
Le 23 novembre 2004, la requйrante a йcrit au dйfendeur, le sommant de “radier le site internet” concernй. Dans ce courrier, la requйrante informait le dйfendeur qu’elle-mкme et ses deux filles dйtenaient les droits d’auteur sur les œuvres de Mircea Ciobanu.
Le 23 mai 2005, l’avocat de la requйrante a йcrit une nouvelle fois au dйfendeur. Il invoquait dans ce courrier une violation du droit au nom et des droits d’auteur de sa mandante, mais dйclarait celle-ci disposйe а rйgler le litige а l’amiable moyennant notamment la cessation de l’usage de reproductions des œuvres de son mari et la radiation ou le transfert du nom de domaine <ciobanu.ch>.
Le 5 janvier 2006, le dйfendeur a rйpondu par l’intermйdiaire de son
avocat. Il a exposй qu’il disposait d’un lot consйquent d’œuvres
de Mircea Ciobanu, “rйguliиrement acquises et dont il entend assurer
la vente par tout moyen promotionnel lui paraissant adйquat”.
5. Argumentation des parties
A. Requйrante
La requйrante fonde sa requкte sur les dispositions du droit suisse rйgissant le droit au nom, en particulier l’article 29 du Code civil suisse (ci-aprиs “CC”), l’article 2 de la Loi fйdйrale contre la concurrence dйloyale (ci-aprиs “LCD”) et les articles 10 al. 2 lit. a et 16 al. 1 de la Loi fйdйrale sur le droit d’auteur et les droits voisins (ci-aprиs “LDA”). Son argumentation est la suivante :
- La requйrante invoque l’art. 29 CC qui protиge le nom des personnes physiques contre toute usurpation susceptible de leur causer un prйjudice. La requйrante soutient qu’elle peut bйnйficier de la protection confйrйe par cette disposition dans la mesure oщ elle porte le nom Ciobanu.
- La requйrante invoque l’art. 2 LCD. Elle soutient que le dйfendeur viole les rиgles de la bonne foi en exploitant un site Internet sous le nom de domaine <ciobanu.ch> afin de prйsenter les œuvres de Mircea Ciobanu dans un but commercial. Cela laisse penser selon la requйrante que le dйfendeur dйtient les droits d’auteur ou les autorisations nйcessaires pour diffuser les œuvres de Mircea Ciobanu. Selon la requйrante, la partie adverse crйe intentionnellement un risque de confusion dans l’esprit des internautes en faisant croire qu’il s’agit du site officiel de l’artiste.
- La requйrante dйclare qu’en vertu de l’art. 16 al. 1 LDA, elle dйtient avec ses deux filles les droits d’auteur liйs aux œuvres de son dйfunt йpoux, Mircea Ciobanu. Selon la requйrante, le fait de reproduire les œuvres de son mari sur le site Internet litigieux, sans son autorisation, viole le droit d’utilisation de l’œuvre, en particulier celui de confectionner des exemplaires de l’œuvre garanti par l’article 10 al. 2 lit. a LDA.
Pour ces motifs, la requйrante demande que le nom de domaine lui soit transfйrй.
B. Dйfendeur
Le dйfendeur estime que les Dispositions relatives а la procйdure de rиglement des diffйrends pour les noms de domaine .ch et .li du 1er mars 2004 ne lui sont pas applicables. Selon lui, pour que les Dispositions soient applicables, il faudrait qu’il en ait eu connaissance et qu’il y ait adhйrй, or tel n’est pas le cas, car il a enregistrй son nom de domaine avant le 1er mars 2004. Le dйfendeur conclut que le Centre n’est pas compйtent.
Le dйfendeur estime aussi que les dйlais fixйs par les Dispositions sont trop courts et de ce fait, violent le droit constitutionnel d’кtre entendu qui lui est garanti.
Quant au fond, le dйfendeur expose qu’il est l’une des personnes qui a financй l’artiste de son vivant et qu’il a acquis une quantitй importante de ses œuvres.
Le dйfendeur suggиre en outre que la requйrante pourrait avoir rйpudiй la succession de son mari, avec la consйquence qu’elle ne serait pas titulaire des droits d’auteur sur les œuvres de ce dernier.
Le dйfendeur admet que la requйrante, qui porte le patronyme de son mari, peut revendiquer la protection de ce nom. Cette protection ne s’йtendrait cependant pas а l’œuvre de l’artiste.
Le dйfendeur expose qu’il ne poursuit aucun but commercial mais tente
seulement de rйcupйrer une partie des sommes investies а perte. Il conteste
l’application de Loi contre la concurrence dйloyale et de la Loi sur les
droits d’auteur, au motif qu’il est fondй а vendre les œuvres
dont il est propriйtaire. Il relиve que la requйrante n’a jamais jugй
utile de tenter d’exploiter un site sous le nom Ciobanu pour promouvoir
l’œuvre de son mari.
6. Discussion et conclusions
I. Questions procйdurales
Le dйfendeur soulиve deux questions procйdurales, а savoir l’inapplicabilitй des Dispositions, entrйes en vigueur aprиs l’enregistrement du nom de domaine, et le non respect de son droit d’кtre entendu du fait des courts dйlais prйvus par lesdites Dispositions.
a. Applicabilitй des Dispositions
Selon le paragraphe 1 des Dispositions, celles-ci forment la base du rиglement des diffйrends entre un requйrant et une partie adverse concernant un nom de domaine; elles font partie intйgrante de tous les contrats d’enregistrement conclus aprиs le 1er mars 2004, ainsi que de ceux dont la durйe d’abonnement a йtй prolongйe aprиs le 1er mars 2004.
Selon les articles 5.1, 5.2 et 5.3 des conditions gйnйrales de SWITCH, applicables а tout enregistrement d’un nom de domaine auprиs de SWITCH, les noms de domaine sont enregistrйs pour une premiиre pйriode d’abonnement d’une annйe, et peuvent ensuite кtre renouvelйs chaque annйe pour une nouvelle pйriode d’une annйe.
En consйquence, depuis le 1er mars 2005, tous les titulaires de noms de domaine .ch sont soumis au systиme de rиglement des diffйrends prйvu par les Dispositions, puisque tous les enregistrements de noms de domaine effectuйs avant le 1er mars 2004 et encore en vigueur aprиs le 1er mars 2005 ont nйcessairement йtй renouvelйs dans cet intervalle (voir Jacques de Werra, Domain-Dispute.ch, Le service de rиglement des diffйrends pour les noms de domaine «.ch », sic! 2005 I, 125 ans de dйpфts de marques (numйro spйcial), p. 149).
En consйquence, les Dispositions s’appliquent au nom de domaine <ciobanu.ch>, puisque celui-ci a йtй renouvelй aprиs le 1er mars 2004.
b. Violation du droit d’кtre entendu
Le dйfendeur estime que les dйlais fixйs par les Dispositions sont trop courts et violent de ce fait le droit constitutionnel d’кtre entendu qui lui est garanti.
Le droit d’кtre entendu consacrй а l’art. 29 al. 2 de la Constitution fйdйrale garantit а chaque partie la possibilitй de faire valoir ses arguments avant qu’une dйcision qui la touche ne soit prise (Andreas Auer/Giorgio Malinverni/Michel Hottelier, Droit constitutionnel suisse, vol. II, 2иme йd., Berne 2006, p. 602).
Le paragraphe 15(a) des Dispositions prйvoit que le dйfendeur se voit impartir un dйlai de vingt jours pour prйsenter une rйponse. Ce dйlai n’est pas particuliиrement court et l’expert l’estime tout а fait compatible avec le droit d’кtre entendu.
Par ailleurs, on ne voit guиre pourquoi, en l’espиce, le dйfendeur aurait eu besoin d’un dйlai plus long. Le dйfendeur est en effet reprйsentй dans cette procйdure par l’avocat qui avait rйpondu en date du 5 janvier 2006 а la lettre du 23 mai 2005 du conseil de la requйrante. Tout porte а penser que le dйfendeur avait dйjа obtenu une йvaluation de la situation juridique au moment oщ le commencement de la prйsente procйdure lui a йtй notifiй. On rappellera йgalement que le dйfendeur a obtenu du Centre une extension du dйlai de rйponse, initialement fixй au 15 mai 2006, jusqu’au 24 mai 2006. Le dйfendeur a donc eu prиs d’un mois а compter de la notification du commencement de la procйdure pour prйparer sa rйponse.
II. Questions de fond
Conformйment au paragraphe 24 (c) des Dispositions, l’expert fait droit а la demande lorsque l’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine constitue clairement une infraction а un droit attachй а un signe distinctif attribuй au requйrant selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein.
a. Le requйrant a-t-il un droit attachй а un signe distinctif selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein?
Le paragraphe 1 des Dispositions dйfinit la notion de “droit attachй а un signe distinctif” comme un “droit reconnu par l’ordre juridique qui dйcoule de l’enregistrement ou l’utilisation d’un signe et qui protиge son titulaire contre les atteintes а ses intйrкts gйnйrйes par l’enregistrement ou l’utilisation par des tiers d’un signe identique ou similaire; il s’agit notamment, mais pas exclusivement, du droit relatif а un nom commercial, а un nom de personne, а une marque ou а une indication gйographique, ainsi que des droits de dйfense rйsultant de la lйgislation sur la concurrence dйloyale”.
1. Le droit au nom
Le droit au nom, tel qu’il est prйvu а l’article 29 al. 2 CC, s’йtend notamment aux noms patronymiques des personnes physiques.
En l’espиce, Ciobanu est le patronyme de la requйrante Ada-Michaela Ciobanu. La requйrante dispose bien d’un droit au nom au sens de l’article 29 al. 2 CC, qu’elle est en droit de protйger contre les usurpations indues.
2. La concurrence dйloyale
Selon le paragraphe 1 des Dispositions, les droits attachйs а un signe distinctif comprennent aussi les droits de dйfense rйsultant de la lйgislation sur la concurrence dйloyale.
L’application de la LCD n’implique pas nйcessairement que les parties soient dans un rapport de concurrence, mais elle suppose un comportement de nature а influer sur la concurrence.
Dans le cas prйsent, le dйfendeur utilise le nom de domaine litigieux en relation avec un site sur lequel il a reproduit des œuvres dont la reproduction et la diffusion sont a priori rйservйes а la requйrante et а ses filles en vertu de leur qualitй de titulaires des droits d’auteur. Le comportement du dйfendeur paraоt donc de nature а influer sur la concurrence, car il offre aux internautes qui parviennent sur son site au moyen du nom de domaine litigieux la possibilitй de se procurer gratuitement des reproductions digitales des œuvres. Il est possible que le dйfendeur entrave ainsi la facultй de la requйrante de commercialiser, elle-mкme ou par l’intermйdiaire des tiers de son choix, de telles reproductions.
Les dispositions de la loi contre la concurrence dйloyale entrent donc en ligne de compte dans le prйsent litige.
b. L’enregistrement ou l’utilisation du nom de domaine constitue-t-il clairement une infraction а un droit attachй а un signe distinctif attribuй au requйrant selon le droit de la Suisse ou du Liechtenstein?
A ce sujet, l’art. 24 (d) des Dispositions prйcise qu’il y a “clairement infraction а un droit en matiиre de propriйtй intellectuelle notamment lorsque :
i. aussi bien l’existence du droit attachй а un signe distinctif invoquй que son infraction rйsultent clairement du texte de la loi ou d’une interprйtation reconnue de la loi et des faits exposйs, et qu’ils ont йtй prouvйs par les moyens de preuve dйposйs; et que
ii. la partie adverse n’a pas exposй et prouvй des raisons de dйfense importantes de maniиre concluante; et que
iii. l’infraction, selon la demande en justice formulйe, justifie le transfert ou l’extinction du nom de domaine.”
Etant donnй l’exigence posйe dans les Dispositions
d’une infraction “claire”, une dйcision de transfert ou d’extinction
du nom de domaine n’est prise que si elle se justifie d’йvidence.
Compte tenu de la nature des rиgles en cause, laquelle limite sйrieusement les
moyens d’instruction а disposition de l’expert, cette йvidence doit
s’imposer rapidement et non pas suite а un examen laborieux; s’il
doute, l’expert devra renoncer а un examen approfondi, limitй qu’il
est dans ses moyens d’instruction et cela mкme si son intuition lui suggиre
le contraire (Hйli-Alpes SA c/ Air-Glaciers SA, Litige OMPI
no. DCH2006-0006; Edipresse Publications SA c/ Florian Kohli, Litige
OMPI no. DCH2005-0026).
1. Usurpation indue du nom de la requйrante?
Selon la jurisprudence fйdйrale, la fonction d’identification des noms de domaine a pour consйquence qu’ils doivent se distinguer suffisamment des signes distinctifs appartenant а des tiers et protйgйs par un droit absolu, cela afin d’empкcher des confusions. Partant, si le signe utilisй comme nom de domaine est protйgй par le droit au nom, le droit des raisons de commerce ou le droit des marques, le titulaire des droits exclusifs y affйrents peut en principe interdire au tiers non autorisй l’utilisation de ce signe comme nom de domaine (ATF 128 III 353; sic! 2005, p. 390).
Le Tribunal fйdйral a retenu qu’un mode d’utilisation du nom constitutif
d’une usurpation indue rйside dans la crйation d’un risque de confusion
(ATF 80 II 281 = JdT 1955 I 322; Philippe Gilliйron, Les divers rйgimes de protection
des signes distinctifs et leurs rapports avec le droit des marques, Berne 2000,
p. 148). Ainsi, l’usage du nom d’autrui porte atteinte а un intйrкt
digne de protection lorsque l’appropriation du nom entraоne un danger
de confusion ou de tromperie ou que cette appropriation est de nature а susciter
dans l’esprit du public, par une association d’idйes, un rapprochement
qui n’existe pas en rйalitй entre le titulaire du nom et le tiers qui
l’usurpe sans droit (ATF 128 III 253). La confusion peut donc rйsider
dans le fait que les destinataires parviennent certes а distinguer les signes,
mais sont fondйs а croire qu’il existe des liens juridiques ou йconomiques
entre les deux personnes concernйes (Hйli-Alpes SA c/ Air-Glaciers SA,
Litige OMPI no. DCH2006-0006; ATF 131 III 572;
ATF 128 III 146; ATF 127 III 160).
En cas d’usage du nom d’autrui comme nom de domaine, il faut selon le Tribunal fйdйral dйterminer quelles sont les attentes йveillйes par le nom de domaine dans l’esprit des utilisateurs moyens d’Internet, sans йgard au contenu du site auquel le nom de domaine permet d’accйder (ATF 128 III 253).
En l’espиce, il convient donc de se demander quelles sont les attentes que le nom de domaine <ciobanu.ch> йveille dans l’esprit des internautes. Il est vraisemblable aux yeux de l’expert que les personnes qui saisissent le nom de domaine dans leur navigateur s’attendent а trouver un site contenant des informations sur le peintre Mircea Ciobanu. En effet, les piиces produites par la requйrante permettent d’infйrer que l’artiste jouissait d’une certaine renommйe en Suisse, au moins dans les milieux intйressйs а l’art moderne.
Cela dit, il faut garder а l’esprit que ce n’est pas le droit au nom de Mircea Ciobanu, aujourd’hui dйcйdй, qui est en cause en l’espиce, mais bien celui de la requйrante. A cet йgard, le fait que les internautes reconnaissent le nom du peintre dans le nom de domaine litigieux ne permet pas automatiquement de conclure que ce nom de domaine porterait atteinte au droit au nom de la requйrante. En effet, une usurpation indue du nom de la requйrante suppose que l’usage de ce nom suscite l’impression qu’il existe un lien entre le site du dйfendeur et la requйrante elle-mкme. Pour que l’on puisse admettre que le nom de domaine crйe un risque de confusion quant aux relations entre le dйfendeur et la requйrante, il faudrait que les internautes s’attendent а trouver un site non seulement consacrй а l’artiste, mais encore exploitй ou autorisй par la requйrante, que ce soit en sa qualitй de membre de la proche famille du peintre ou en sa qualitй de titulaire de droits d’auteur sur son oeuvre.
Or l’expert manque d’йlйments d’apprйciation pour trancher cette question de fait. Il n’est pas йvident, en effet, que les internautes а la recherche d’informations sur un artiste disparu s’attendent а trouver, sous un nom de domaine correspondant au nom de l’artiste, un site exploitй par les personnes de sa proche famille. Il ne va pas non plus de soi que le site doive, pour ne pas dйcevoir les attentes des visiteurs, кtre exploitй par des personnes qui dйtiennent les droits d’auteur sur l’œuvre de l’auteur dйcйdй. Le dossier ne comprend pas d’йlйments qui permettrait а l’expert de se forger une opinion а ce sujet. On ignore notamment si des personnes ont effectivement cru а tort que la requйrante serait responsable du contenu du site ou l’aurait autorisй.
Au vu de cette incertitude, l’expert estime qu’on ne peut pas parler en l’йtat du dossier d’une infraction “claire” au droit au nom de la requйrante au sens du paragraphe 24(d) des Dispositions.
2. Violation des dispositions de la Loi contre la concurrence dйloyale?
A teneur de l’art. 2 LCD, est dйloyal et illicite tout comportement ou pratique commerciale qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre maniиre aux rиgles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients.
Mкme s’il n’entre en principe pas dans la mission de l’expert de dйterminer si le contenu du site auquel mиne le nom de domaine litigieux prйsente un caractиre illicite, cette question apparaоt nйanmoins pertinente pour apprйcier si le dйfendeur a violй les dispositions de la LCD par un comportement dйloyal et illicite en enregistrant ou en utilisant le nom de domaine.
La requйrante affirme avoir hйritй avec ses filles des droits d’auteur affйrents aux œuvres de son dйfunt mari. Dans sa rйponse du 24 mai 2006, le dйfendeur met implicitement ce fait en doute en suggйrant que la requйrante pourrait avoir rйpudiй la succession de son mari. Le dйfendeur n’apporte toutefois aucun йlйment de preuve а l’appui de cette allйgation. Par ailleurs, informй en novembre 2004 dйjа du fait que la requйrante lui reprochait une violation de ses droits d’auteur, il ne semble pas avoir contestй la qualitй de titulaire de la requйrante avant le dйbut de la prйsente procйdure. Dans ces circonstances, et vu que la requйrante et ses filles sont les plus proches parentes de l’artiste dйcйdй, l’expert considиre vraisemblable que la requйrante est titulaire avec ses filles des droits d’auteur sur les œuvres du peintre Ciobanu.
Selon l’art. 10 al. 2 lit. a LDA, l’auteur (ou ses ayants droit) a le droit exclusif d’incorporer son œuvre de quelque maniиre que ce soit dans un matйriel durable. Selon la doctrine, le chargement de l’œuvre sur un ordinateur а partir d’Internet ou vice versa constitue une reproduction (Denis Barrelet/Willi Egloff, Le nouveau droit d’auteur, commentaire de la loi fйdйrale sur le droit d’auteur et les droits voisins, 2иme йdition, Berne 2000, ad. art. 10 al. 2 LDA, p. 55; Franзois Dessemontet, Le droit d’auteur, Lausanne 1999, p. 171).
Il sied de noter qu’aucune des exceptions prйvues par la LDA, comme l’exception de catalogue de l’art 26 LDA, ne paraоt applicable en l’espиce (Barrelet/Egloff, op. cit., ad. Art. 26, p. 142 et 143). Selon la doctrine, l’exception prйvue par l’art. 26 LDA ne s’applique en effet pas aux sites Internet (Dessemontet, op. cit., p. 366 et 367; Barrelet/Egloff, op. cit., p. 143).
Le dйfendeur invoque comme moyen de dйfense son droit de vendre les œuvres dont il a acquis la propriйtй. Le dйfendeur ne tient pas compte du fait que si la propriйtй matйrielle passe а l’acheteur d’une œuvre d’art, les droits de propriйtй intellectuelle restent aux mains de l’auteur ou de ses ayants droit. Dиs lors, le droit qu’a le dйfendeur de revendre а sa guise les œuvres dont il est propriйtaire n’emporte pas celui de reproduire les œuvres sans autorisation et de mettre des tiers en position de faire de mкme en permettant le tйlйchargement des photographies des œuvres sur son site Internet.
Au vu de ce qui prйcиde, il apparaоt bien que le dйfendeur enfreint le droit de reproduction rйservй а la requйrante et а ses filles, et que le contenu du site Internet est illicite. Le dйfendeur a йtй formellement informй du fait que la requйrante estimait ses droits violйs en novembre 2004. Il a nйanmoins continuй а utiliser le nom de domaine en connexion avec le site litigieux, lequel contient а l’heure actuelle des centaines d’œuvres de l’artiste, qu’il est possible d’agrandir et de tйlйcharger.
L’utilisation d’un nom de domaine correspondant au patronyme des personnes ayant hйritй des droits d’auteur sur l’œuvre d’un artiste, en connexion avec un site Internet oщ ces droits d’auteur sont sciemment violйs de maniиre manifeste et а large йchelle apparaоt comme un comportement contraire а la bonne foi au sens de l’art. 2 LCD. Ce comportement est de nature а influer sur la concurrence car en offrant aux amateurs de l’artiste attirй sur son site grвce au nom de domaine la possibilitй de tйlйcharger gratuitement les centaines d’œuvres reproduites, le dйfendeur porte atteinte а la facultй de la requйrante d’accorder des licences payantes pour de telles reproductions.
L’expert conclut donc que l’utilisation du nom de domaine <ciobanu.ch>
en relation avec le site concernй tombe clairement sous le coup de l’art.
2 LCD, de sorte qu’il est justifiй de transfйrer ce nom de domaine а la
requйrante.
7. Dйcision
Pour les raisons йnoncйes ci-dessus et conformйment au paragraphe 24 des Dispositions, l’expert ordonne le transfert du nom de domaine <ciobanu.ch> au profit de la requйrante.
Anne-Virginie La Spada-Gaide
Expert
Le 9 octobre 2006