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Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Festival International de Jazz de Montréal Inc. et L’Équipe Spectra Inc. contre PidInvent

Litige n° D2008-1351

1. Les parties

Les Requérants sont Le Festival International de Jazz de Montréal Inc., Québec, Canada et L’Équipe Spectra Inc., Québec, Canada, représenté en interne.

Le Défendeur est PidInvent, Québec, Canada, représenté par Jean-Louis Vill, Canada.

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <montrealjazzfest.mobi>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est GoDaddy.com, Inc.

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Le Festival International de Jazz de Montréal Inc. et L’Équipe Spectra Inc. auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre”) en date du 4 septembre 2008 par courrier électronique et du 8 septembre 2008 par courrier postal.

En date du 8 septembre 2008, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, GoDaddy.com Inc., aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par les Requérants.

En date du 8 septembre 2008 l’unité d’enregistrement GoDaddy.com Inc. a confirmé l’ensemble des données du litige sauf pour ce qui concerne l’identité du Défendeur, laquelle ne correspondait pas à celle du titulaire du nom de domaine litigieux mais au contact administratif désigné pour ce nom de domaine.

En date du 10 septembre 2008, le Centre a invité les Requérants à amender leur plainte quant à l’identité du Défendeur et quant à la désignation des marques de produits et de services sur lesquelles la plainte s’appuie. Le même jour, le Centre a communiqué aux parties la notification de la langue de la procédure.

En date du 17 septembre 2008 par courrier électronique et du 19 septembre 2008 par courrier postal, les Requérants ont adressés au Centre un amendement à leur plainte.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs”), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application”), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires”) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 18 septembre 2008, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au Défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 8 octobre 2008.

En date du 15 septembre 2008, M. Jean-Louis Vill a adressé au Centre et aux Requérants, par courrier électronique, les éléments qu’il souhaite faire valoir dans le cadre du litige, sans toutefois procéder au dépôt d’une Réponse dans les formes prescrites par les Règles d’application. En conséquence de quoi le Centre a procédé à une notification de défaut du Défendeur en date du 9 octobre 2008.

En date du 15 octobre 2008, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Christiane Féral-Schuhl. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

La Commission administrative a, par ordonnance en date du 30 octobre 2008, enjoint aux Requérants de bien vouloir produire, en application de l’article 12 des Règles d’application et au plus tard pour le 4 novembre 2008, toutes pièces utiles (coupures de presses, captures d’écrans de sites Internet, …) attestant de leurs droits sur une marque, et le cas échéant sur une marque non-enregistrée (à savoir sur une dénomination ayant acquis par l’usage, la qualité d’un signe distinctif directement en lien avec le Requérant ou ses produits ou services), identique ou similaire au point de prêter à confusion au nom de domaine litigieux. Cette ordonnance a prorogé la date de transmission de la décision au 7 novembre 2008.

Le 3 novembre 2008, les Requérants ont répondu à l’injonction de la Commission administrative et lui ont communiqué des pièces complémentaires attestant de leurs droits.

4. Langue de la procédure

Conformément au paragraphe 11 des Principes directeurs, la langue de la procédure est la langue du contrat d’enregistrement, sauf convention contraire entre les parties.

En l’espèce, la langue du contrat d’enregistrement du nom de domaine litigieux est l’anglais.

Néanmoins, les Requérants et le Défendeur ont, par leurs différents échanges de courriers électronique en date du 10 septembre 2008 et transmis au Centre par courrier électronique du 11 septembre 2008, exprimé la volonté commune et non équivoque de faire du français la langue de la présente procédure.

5. Les faits

Les Requérants sont l’association Le Festival International de Jazz de Montréal Inc. et la société L’Equipe Spectra Inc.

Le Festival International de Jazz de Montréal Inc. a pour principale activité l’organisation annuelle du festival international de jazz de Montréal.

L’Equipe Spectra Inc. déclare gérer les noms de domaine utilisés par Le Festival International de Jazz de Montréal Inc.

Les Requérants ont enregistré les noms de domaine suivants :

- <montrealjazzfest.com> le 9 avril 1997;

- <montrealjazzfest.ca> le 1er novembre 2001; et

- <montrealjazzfest.tv> le 8 mai 2008.

Les Requérants exploitent les sites Internet “www.montrealjazzfest.com”, “www.montrealjazzfest.ca” et “www.montrealjazzfest.tv” pour présenter le festival international de jazz de Montréal et en particulier la programmation, les activités liées au festival, le plan du site, des galeries de photo, des extraits audios, une boutique, etc.

Le Défendeur est la société PidInvent Inc. qui a pour activité le développement de solutions informatiques et qui commercialise notamment un logiciel de lutte contre les courriers électroniques indésirables.

Le Défendeur a enregistré le nom de domaine <montrealjazzfest.mobi> le 13 novembre 2006 et l’utilise pour rediriger les internautes vers le site Internet “www.pidware.com” sur lequel il présente son logiciel et le propose au téléchargement.

Par courrier électronique du 31 octobre 2007, les Requérants ont sollicité du Défendeur le transfert du nom de domaine litigieux à leur profit.

Par courrier électronique du 1er novembre 2007, le Défendeur a indiqué acheter et vendre des noms de domaine pour financer le lancement de son logiciel et pouvoir céder le nom de domaine litigieux aux Requérants “pour un prix modique”.

Malgré de nombreux échanges postérieurs entre les parties, le nom de domaine litigieux n’a pas été transféré aux Requérants.

C’est dans ces conditions que le Centre a été saisi du présent litige.

6. Argumentation des parties

A. Requérants

Les Requérants indiquent souhaiter faire l’acquisition du nom de domaine litigieux pour un éventuel développement d’une version de leur site Internet optimisée pour la consultation sur téléphone mobile. Ils déclarent considérer “avoir plein droit sur le nom de domaine <montrealjazzfest.mobi>”.

Ils estiment que l’utilisation du nom de domaine litigieux par le Défendeur est source de confusion et détourne une part des internautes vers le site Internet du Défendeur.

Les Requérants font valoir que le Défendeur ne peut pas justifier de son besoin d’utiliser un nom de domaine “.mobi” identique au nom de domaine “.com” qu’ils utilisent pour présenter leurs activités et précisent que le Défendeur n’est connu sous aucun nom apparenté à la dénomination “montrealjazzfest”.

Les Requérants soulignent enfin, que le Défendeur a lui-même indiqué se livrer à l’achat de noms de domaine pour leur revente.

B. Défendeur

Dans le cadre du présent litige, le Défendeur n’a pas présenté de Réponse conforme aux conditions prescrites par le paragraphe 5 des Règles d’application.

Néanmoins, par courrier électronique du 15 septembre 2008 adressé au Centre et aux Requérants, Jean-Louis Vill qui semble être lié au Défendeur, a présenté de manière informelle les arguments qu’il souhaite soutenir dans le cadre du présent litige.

Dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, la Commission administrative considère qu’il convient de prendre en considération ces arguments pour la bonne administration du litige.

M. Vill fait valoir que les Requérants n’ont pas profité de la “période de grâce” pour procéder à l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

Il considère que les Requérants n’ont aucun droit sur la dénomination “montrealjazzfest” mais seulement sur la dénomination “montrealjazzfestival”.

Il détaille ses motivations pour l’enregistrement du nom de domaine litigieux. Il indique avoir l’intention d’utiliser le nom de domaine litigieux dans le cadre de sa stratégie de commercialisation du logiciel qu’il a développé.

Il conteste tout risque de confusion et toute intention de nuire à l’égard des Requérants.

7. Discussion et conclusions

Le paragraphe 15(a) des Règles d’application prévoit que “la Commission statue sur la plainte au vu des écritures et des pièces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes Règles et à tout Principe ou Règle de droit qu’elle juge applicable”.

Au demeurant, le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant de prouver contre le Défendeur cumulativement que :

(i) son nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion à une marque de produit ou de service sur laquelle le Requérant a des droits; et

(ii) il n’a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y rattache; et

(iii) son nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.

En conséquence, il y a lieu de s’attacher à vérifier que chacune de ces conditions est bien remplie par les Requérants.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Les Requérants font valoir, en substance, que le nom de domaine litigieux est identique à la dénomination “montrealjazzfest” sur laquelle ils détiennent des droits, ces droits découlant :

- d’une part, du nom de leur organisation : “Le Festival International de Jazz de Montréal”, qu’ils utilisent depuis 1979;

- d’autre part, du fait qu’ils ont enregistrés et utilisent les noms de domaine <montrealjazzfest.com> depuis 1997, <montrealjazzfest.ca> depuis 2001 et <montrealjazzfest.tv> depuis 2008.

La Commission administrative constate donc que les Requérants ne font à aucun moment valoir qu’ils seraient titulaires d’une marque de produits ou de services identique ou similaire au point de prêter à confusion au nom de domaine litigieux, que ce soit un droit de marque sur la dénomination “montrealjazzfest” ou sur la dénomination “Le Festival International de Jazz de Montréal”.

La Commission administrative est au fait que dans certains litiges soumis au Centre en application des principes UDRP, et sous certaines conditions, il a pu être reconnu à des Requérants des droits de marques sur une dénomination alors que ces Requérants n’étaient pas titulaires d’une marque enregistrée sur cette dénomination.

Il ressort ainsi de l’analyse des décisions pertinentes relatives à cette problématique que le Requérant doit avoir produit suffisamment d’éléments pour démontrer que la dénomination considérée a acquis, par l’usage, la qualité d’un signe distinctif directement en lien avec le Requérant ou ses produits ou services ainsi qu’une notoriété suffisante.

Ainsi, dans la décision Imperial College v. Christophe Dessimoz, Litige OMPI No. D2004-0322, la Commission administrative a pu reconnaitre que le Requérant avait valablement rapporté la preuve des droits qu’il détenait sur la dénomination “IDEA League” bien que n’ayant pas enregistré celle-ci à titre de marque et ce, compte tenu des éléments communiqués par le Requérant: coupures de presses, newsletters, captures d’écrans de sites Internet, etc.

En l’espèce, la Commission a procédé à l’analyse des éléments qui lui ont été communiqués dans le cadre du présent litige pour se prononcer sur les droits détenus par les Requérants.

Il en ressort que le Festival International de Jazz de Montréal est une manifestation culturelle de grande renommée et connue sous cette dénomination depuis 1979. Les Requérants communiquent en effet de nombreux extraits de journaux faisant état de la renommée et de l’ampleur du Festival International de Jazz de Montréal (souvent plusieurs centaines de concerts et plusieurs milliers de musiciens pendant les 11 jours de chaque édition du festival).

De même, les Requérants font état des communications promotionnelles organisées autour de l’évènement depuis 2000 ainsi que des programmes du festival. Ces communications mentionnent toutes la dénomination “Le Festival International de Jazz de Montréal” ainsi que l’adresse du site Internet du festival, “www.montrealjazzfest.com”.

La Commission déduit des éléments qui lui ont été communiqués que la dénomination “Le Festival International de Jazz de Montréal” désigne de manière non équivoque l’évènement culturel organisé par les Requérants, de telle sorte que le public associe nécessairement cette dénomination à cet évènement particulier.

En conséquence la Commission considère que les Requérants ont valablement démontré avoir, par l’usage prolongé et non interrompu de la dénomination “Le Festival International de Jazz de Montréal”, acquis sur celle-ci des droits suffisants au regard des critères posés par le paragraphe 4 (a) (i) des Principes directeurs.

Par ailleurs, la Commission considère que le nom de domaine litigieux est similaire au point de prêter à confusion à cette dénomination, dès lors qu’il reprend les éléments essentiels de la dénomination “Le Festival International de Jazz de Montréal”, à savoir le terme “montreal”, le terme “jazz” et le terme “fest” en tant qu’abréviation du terme festival.

En effet la reprise de ces termes essentiels est de nature à créer dans l’esprit d’un internaute d’attention moyenne une confusion conceptuelle entre la dénomination “montrealjazzfest” et la dénomination “Le Festival International de Jazz de Montréal”. Cela est d’autant plus vrai que la communication réalisée par les Requérants autour du festival est, au moins depuis 2000, organisée autour du site Internet “www.montrealjazzfest.com”, de sorte que les dénominations “montrealjazzfest” et “Le Festival International de Jazz de Montréal” sont intrinsèquement liées depuis au moins huit ans.

En conséquence, au regard des écritures et des pièces qui lui ont été soumises, la Commission administrative considère que les Requérants ont satisfait aux dispositions du paragraphe 4 (a) (i) des Principes Directeurs.

B. Droits ou légitimes intérêts

La Commission administrative constate que le Défendeur ne prétend pas être titulaire de droits de marque sur la dénomination “montrealjazzfest” ou sur une dénomination semblable.

De même la Commission administrative considère que le Défendeur ne démontre pas en quoi il détiendrait un intérêt légitime à exploiter le nom de domaine litigieux, le fait de vouloir associer à sa stratégie commerciale et publicitaire une dénomination susceptible d’attirer de nombreux visiteurs ne pouvant constituer un tel intérêt.

Ainsi le Défendeur n’intervient aucunement dans le milieu musical et n’a absolument pas pour activité l’organisation de festivals, à Montréal ou ailleurs.

La Commission administrative rejoint par ailleurs les Requérants lorsqu’ils font valoir que le Défendeur ne prétend à aucun moment être connu sous la dénomination considérée.

En conséquence, la Commission administrative considère que le Défendeur ne détient aucun droit ni aucun intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

De même, la Commission administrative considère que des éléments suffisants démontrent l’enregistrement et l’utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux par le Défendeur.

(i) Enregistrement de mauvaise foi

La Commission administrative considère qu’il ressort des échanges entre les parties que le Requérant a essentiellement acquis le nom de domaine litigieux pour le revendre aux Requérants ou à tout le moins, en seconde intention, pour attirer à des fins lucratives les internautes vers sa solution logicielle.

L’enregistrement d’un nom de domaine dans ces conditions caractérise bien, selon la Commission administrative, la mauvaise foi du Défendeur, celui-ci ayant nécessairement conscience du fait qu’en enregistrant le nom de domaine litigieux, il privait les Requérants de la possibilité d’utiliser un nom de domaine en rapport direct avec leur activité alors que lui-même n’avait aucunement l’intention de présenter une offre de produit ou de service en lien avec ce nom de domaine.

En conséquence, la Commission administrative retient que le Défendeur a bien procédé de mauvaise foi à l’enregistrement du nom de domaine litigieux.

(ii) Usage de mauvaise foi

La Commission administrative considère que le Défendeur ne fait du nom de domaine litigieux aucune utilisation en relation avec une offre de bonne foi de produits.

Le nom de domaine litigieux redirige en effet l’internaute vers le site Internet du Défendeur “www.pidware.com” sur lequel celui-ci présente et propose au téléchargement son logiciel de lutte contre les courriers électroniques indésirables.

Or, le Défendeur est parfaitement en mesure d’exercer son activité en utilisant les noms de domaine en rapport direct avec son activité dont il est par ailleurs titulaire.

La Commission administrative considère donc que la stratégie du Défendeur consistant à chercher à bénéficier de l’organisation d’un événement culturel en utilisant un nom de domaine en rapport avec cet événement à la seule fin de promouvoir son activité d’édition de logiciel caractérise une utilisation de mauvaise foi du nom de domaine.

7. Décision

Au regard des éléments développés ci-dessus et conformément aux paragraphes 4 (i) des Principes directeurs et 15 des Règles, la Commission administrative ordonne le transfert du nom de domaine <montrealjazzfest.mobi> au profit de L’Equipe Spectra Inc., comme demandé dans la plainte.


Christiane Féral-Schuhl
Expert Unique

Le 7 novembre 2008

 

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