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Centre d`arbitrage et de médiation de l`OMPI
DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE
Smart&co SAS contre Alain Turby
Litige nВ° D2009-1402
1. Les parties
Le requérant est Smart&co SAS de Levallois-Perret, France, représenté Г l`interne.
Le défendeur est Alain Turby de Bordeaux, France.
2. Nom de domaine et unité d`enregistrement
Le litige concerne le nom de domaine <smartbox-arnaque.com>.
L`unité d`enregistrement auprГЁs de laquelle le nom de domaine est enregistré est 1&1 Internet AG.
3. Rappel de la procédure
Une plainte a été déposée par Smart&co SAS auprГЁs du Centre d`arbitrage et de médiation de l`Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-aprГЁs désigné le "Centre") en date du 21 octobre 2009.
En date du 21 octobre 2009, le Centre a adressé une requГЄte Г l`unité d`enregistrement du nom de domaine litigieux, 1&1 Internet AG, aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. Le 23 octobre 2009, l`unité d`enregistrement a transmis sa vérification au Centre confirmant l`ensemble des données du litige. Le Requérant a déposé un amendement le 27 octobre 2009.
Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le RГЁglement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-aprГЁs dénommés "Principes directeurs"), aux RГЁgles d`application des Principes directeurs (ci-aprГЁs dénommées les "RГЁgles d`application"), et aux RГЁgles supplémentaires de l`OMPI (ci-aprГЁs dénommées les "RГЁgles supplémentaires") pour l`application des Principes directeurs précités.
Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des RГЁgles d`application, le 28 octobre 2009, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des RГЁgles d`application, le défendeur devait faire parvenir sa réponse dans les 20 jours suivants la notification de la plainte. Le défendeur n`a fait parvenir aucune réponse. En date du 18 novembre 2009, le Centre notifiait le défaut du défendeur.
En date du 26 novembre 2009, le Centre nommait dans le présent litige comme expert-unique Christiane Féral-Schuhl. La Commission administrative constate qu`elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux RГЁgles d`application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d`acceptation et une déclaration d`impartialité et d`indépendance, conformément au paragraphe 7 des RГЁgles d`application.
4. Les faits
Le requérant est la société française Smart&co SAS qui justifie ГЄtre titulaire :
- de la marque communautaire SMARTBOX nВ° 4 775 342 déposée Г l`INPI le 9 décembre 2005 pour les classes 16, 35, 36, 39 et 41 de la classification internationale;
- de la marque communautaire SMARTBOX nВ° 6 488 291 déposée Г l`INPI le 5 décembre 2007 pour les classes 16, 35, 36, 38, 39, 41 et 43 de la classification internationale;
- de la marque française SMARTBOX nВ° 09 3 664 000 déposée Г l`INPI le 10 juillet 2009 pour les classes 16, 35 et 41 de la classification internationale;
- de la marque communautaire SMARTBOX nВ° 8 579 591 déposée Г l`INPI le 28 septembre 2009 pour les classes 16, 35, 36, 39, 41 et 43 de la classification internationale.
Le requérant a notamment pour activité la commercialisation de coffrets cadeaux sous ces marques.
Le défendeur est M. Alain Turby qui a procédé Г l`enregistrement du nom de domaine <smartbox-arnaque.com> le 22 aoГ»t 2009 et qui l`exploite pour éditer un site Internet sur lequel celui-ci fait état des difficultés qu`il aurait rencontré dans l`utilisation des coffrets cadeaux commercialisés par le requérant. Sur ce site Internet, le défendeur invite également les internautes Г publier les éventuelles difficultés qu`ils auraient eux-mГЄmes rencontrées relativement aux produits du requérant.
5. Argumentation des parties
A. Requérant
Le requérant fait valoir que le nom de domaine litigieux est confusément similaire avec les marques dont il est titulaire dГЁs lors que le nom de domaine reprend Г l`identique la marque SMARTBOX. Le requérant fait également valoir que le défendeur reprend Г l`identique, sur le site Internet qu`il exploite, la composante figurative de ses marques.
Le requérant considГЁre que le défendeur n`a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérГЄt légitime qui s`y attache.
Enfin, le requérant estime que le défendeur a de mauvaise foi enregistré et utilisé le nom de domaine litigieux. Pour le requérant, la notoriété de ses marques démontre un enregistrement de mauvaise foi et le référencement du site Internet du défendeur sur les moteurs de recherche constitue un acte de parasitisme démontrant l`utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux.
B. Défendeur
En date du 18 novembre 2009, le Centre a notifié le défaut du défendeur.
Celui-ci n`a en effet fait parvenir au Centre aucune réponse dans les formes prescrites par la procédure.
Le 27 octobre 2009, le défendeur avait néanmoins fait parvenir au Centre un courrier électronique par lequel il entendait "répondre Г la plainte de la société Smart&Co SAS concernant le nom de domaine <smartbox-arnaque.com>". Le Centre a accusé réception de ce courrier électronique et en a transmis une copie au requérant.
La décision de prendre ou non en considération les arguments ainsi développés par le défendeur relГЁve du pouvoir souverain d`appréciation de la Commission administrative.
La Commission administrative considГЁre qu`il convient de prendre en considération ces arguments pour la bonne administration du litige.
Le défendeur fait tout d`abord valoir qu`il n`y a pas de confusion possible entre son site et celui du requérant et qu`il a un intérГЄt légitime Г l`exploitation du nom de domaine litigieux, son objectif étant de référencer les différents abus du requérant. En outre, le défendeur indique que sa bonne foi ne peut ГЄtre mise en doute, le récit des difficultés rencontrées avec le requérant étant vérifiable.
Ensuite, le défendeur fait notamment valoir qu`il ne vend, ni ne loue ou cГЁde le nom de domaine litigieux, qu`il ne souhaite pas perturber l`activité commerciale du requérant, n`étant pas un concurrent de celui-ci mais un ancien client mécontent. Enfin, le défendeur indique n`avoir aucune motivation lucrative, puisqu`il ne gagne pas d`argent par le biais de ce site.
6. Discussion et conclusions
Le paragraphe 15(a) des RГЁgles d`application prévoit que "la Commission statue sur la plainte au vu des écritures et des piГЁces qui lui ont été soumises et conformément aux Principes directeurs, aux présentes RГЁgles et Г tout Principe ou RГЁgle de droit qu`elle juge applicable".
Au demeurant, le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au requérant de prouver contre le défendeur cumulativement que :
(i) le nom de domaine est identique ou semblable au point de prГЄter Г confusion Г une marque de produit ou de service sur laquelle le Requérant a des droits; et
(ii) le défendeur n`a aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérГЄt légitime qui s`y rattache; et
(iii) le nom de domaine a été enregistré et est utilisé de mauvaise foi.
En conséquence, il y a lieu de s`attacher Г vérifier que chacune de ces conditions est bien remplie par le requérant.
A. Identité ou similitude prГЄtant Г confusion
La Commission administrative constate que le requérant a établi détenir des droits sur les marques semi-figuratives (françaises et communautaires) SMARTBOX.
De la mГЄme maniГЁre qu`il a pu ГЄtre statué par d`autres commissions administratives dans de précédents litiges, la Commission administrative considГЁre que le seul ajout d`un terme générique ("arnaque" en l`espГЁce) Г une marque enregistrée n`est pas en soi suffisant pour écarter tout risque de confusion au sens du paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs (voir : Société Française du Radiotéléphone SFR v. Zeev Arzoine,
Litige OMPI No. D2007-1505, Sermo, Inc. v. CatalystMD, LLC,
Litige OMPI No. D2008-0647, Newell Operating Company v. HostMonster.Com and Andrew Shalaby,
Litige OMPI No. D2008-1805).
En conséquence, la Commission administrative retient que le critГЁre posé au paragraphe 4(a)(i) des Principes directeurs est rempli.
B. Droits ou légitimes intérГЄts
La Commission administrative constate que le nom de domaine litigieux redirige vers un site Internet exploité par le défendeur et ayant pour objet d`émettre des critiques relatives aux produits commercialisés par le requérant.
La Commission administrative se trouve donc confrontée Г la question de savoir si l`enregistrement d`un nom de domaine contenant une marque pour critiquer cette marque ou son titulaire est susceptible de caractériser une utilisation légitime de ce nom de domaine.
La Commission administrative a connaissance des divergences d`analyses et de points de vue qui existent entre les différentes commissions ayant eu Г traiter de cette question.
La Commission administrative a en particulier connaissance de l`analyse détaillée faite de cette problématique par la commission administrative saisie dans l`affaire Sermo Inc. v. CatalystMD, LLC,
Litige OMPI No. D2008-0647.
Dans ce litige, la commission administrative s`est en premier lieu interrogée sur le point de savoir si cette question devait ou non ГЄtre traitée en considération des dispositions de droit interne applicables aux parties au litige. Elle considГЁre que lorsque les parties résident toutes deux sur le mГЄme territoire, il apparaГ®t alors pertinent de prendre en compte les dispositions nationales auxquelles elles sont ainsi soumises pour apprécier le caractГЁre légitime ou non de l`enregistrement du nom de domaine.
La présente Commission administrative souscrit Г cette analyse qu`elle juge conforme au paragraphe 15(a) des Principes directeurs.
En l`espГЁce, les parties au présent litige résident toutes deux en France. La Commission administrative considГЁre en conséquence que le point de savoir si l`enregistrement du nom de domaine litigieux pour critiquer le requérant et ses produits est susceptible de caractériser une utilisation légitime de ce nom de domaine doit ГЄtre apprécié en considération des lois et rГЁglements applicables en France ainsi que des solutions jurisprudentielles dégagées par les juridictions françaises.
En l`occurrence, il ressort en premier lieu des dispositions du Code de la propriété intellectuelle et de la jurisprudence des juridictions françaises que l`utilisation d`une marque dans un nom de domaine Г des fins de critique ne constitue pas une atteinte au monopole d`exploitation du titulaire de ladite marque. Il a en effet été décidé que l`utilisation de marques Г des fins de dénonciation (les sites Internet considérés ne visant aucunement Г promouvoir la commercialisation de produits ou de services concurrents de ceux du titulaire de la marque) "relГЁve d`un usage polémique étranger Г la vie des affaires"1, ce qui place dГЁs lors l`usage de la marque en dehors du champ d`application du droit des marques.
Dans le cas d`espГЁce, la Commission administrative relГЁve qu`il n`est pas rapporté que le défendeur aurait enregistré le nom de domaine litigieux pour promouvoir, Г son profit, la commercialisation de produits concurrents de ceux du requérant. Au contraire, il apparaГ®t manifestement que le site Internet exploité par le défendeur a pour objet d`exprimer des critiques relatives aux produits commercialisés par le requérant.
En second lieu, la question se pose de savoir si les critiques émises par le défendeur au sujet du requérant et de ses produits ont pu excéder les limites de la liberté d`expression.
Dans l`affaire précitée, la Cour de cassation2 a considéré qu`en détournant le logo d`une société spécialisée dans le nucléaire (en y faisant apparaГ®tre une tГЄte de mort ou un poisson Г l`aspect maladif) une association écologique avait agi conformément Г son objet, dans un but d`intérГЄt général et de santé publique par des moyens proportionnés Г cette fin et n`avait pas abusé de son droit de libre expression.
En l`espГЁce, et au regard des moyens qui lui sont offerts par la procédure UDRP, la Commission administrative relГЁve, d`une part, qu`il n`est pas soutenu que le défendeur ferait état de ses critiques dans des termes ou par des moyens qui seraient susceptibles de qualifier un abus dans l`exercice de sa liberté d`expression et, d`autre part, n`a pas pu constater par elle-mГЄme de débordements manifestes de la part du défendeur dans l`expression de ses critiques Г l`égard du requérant et de ses produits.
DГЁs lors, au regard des éléments qui précГЁdent, la Commission administrative n`est pas en mesure de conclure Г l`absence de droit ou d`intérГЄt légitime du défendeur se rattachant au nom de domaine litigieux.
En conséquence, la Commission administrative retient que le critГЁre posé au paragraphe 4(a)(ii) des Principes directeurs n`est pas rempli.
C. Enregistrement et usage de mauvaise foi
En application du paragraphe 4(a) des Principes directeurs, le requérant doit rapporter la preuve que les trois critГЁres posés Г ce paragraphe sont cumulativement réunis.
La Commission administrative ayant été amenée Г considérer que le second critГЁre n`était pas rempli, il n`est pas nécessaire d`étudier le troisiГЁme critГЁre (paragraphe 4(a)(iii) des Principes directeurs) pour se prononcer sur le présent litige.
En tout état de cause, la Commission administrative relГЁve que l`argument du requérant selon lequel le référencement du site Internet du défendeur sur les moteurs de recherche constituerait un acte de parasitisme démontrant l`utilisation de mauvaise foi du nom de domaine litigieux n`est pas pertinent. La Commission administrative a en effet pu constater que la saisie du mot clé "smartbox" sur les moteurs de recherche ne fait pas immédiatement apparaГ®tre le site Internet du défendeur dans les pages de résultats.
7. Décision
Conformément aux paragraphes 4(i) des Principes directeurs et 15 des RГЁgles d`application, la Commission administrative rejette la plainte.
Christiane Féral-Schuhl
Expert Unique
Le 10 décembre 2009
1 CA Paris 4ГЁme chambre, section B,17 novembre 2006, Greenpeace France et New Zealand c/ SPCEA.
2 Cass. Civ. 1ГЁre, 8 avril 2008, Greenpeace France et New-Zealand c/ SPCEA.