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Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI

 

DÉCISION DE LA COMMISSION ADMINISTRATIVE

Vente-Privee.com contre Mawuna Koutonin

Litige n° DTV2008-0002

 

1. Les parties

Le Requérant est Vente-Privee.com, Saint-Denis, France, représenté par Cabinet Degret, France.

Le Défendeur est M. Mawuna Koutonin, Paris, France.

 

2. Nom de domaine et unité d’enregistrement

Le litige concerne le nom de domaine <vente-privee.tv>.

L’unité d’enregistrement auprès de laquelle le nom de domaine est enregistré est GoDaddy.com, Inc.

 

3. Rappel de la procédure

Une plainte a été déposée par Vente-Privee.com auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (ci-après désigné le “Centre“) en date du 15 janvier 2008.

En date du 15 janvier 2008, le Centre a adressé une requête à l’unité d’enregistrement du nom de domaine litigieux, GoDaddy.com, Inc., aux fins de vérification des éléments du litige, tels que communiqués par le Requérant. L’unité d’enregistrement a confirmé l’ensemble des données du litige en date du 15 janvier 2008.

Le Centre a vérifié que la plainte répond bien aux Principes directeurs régissant le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine (ci-après dénommés “Principes directeurs“), aux Règles d’application des Principes directeurs (ci-après dénommées les “Règles d’application“), et aux Règles supplémentaires de l’OMPI (ci-après dénommées les “Règles supplémentaires“) pour l’application des Principes directeurs précités.

Conformément aux paragraphes 2(a) et 4(a) des Règles d’application, le 21 janvier 2008, une notification de la plainte valant ouverture de la présente procédure administrative, a été adressée au défendeur. Conformément au paragraphe 5(a) des Règles d’application, le dernier délai pour faire parvenir une réponse était le 10 février 2008. Le défendeur a fait parvenir sa réponse le 9 février 2008.

En date du 22 février 2008, le Centre nommait dans le présent litige comme expert unique Martine Dehaut. La Commission administrative constate qu’elle a été constituée conformément aux Principes directeurs et aux Règles d’application. La Commission administrative a adressé au Centre une déclaration d’acceptation et une déclaration d’impartialité et d’indépendance, conformément au paragraphe 7 des Règles d’application.

Le Requérant a adressé des observations additionnelles au Centre le 13 février 2008. Par communication du 3 mars 2008, l’Expert a octroyé un délai supplémentaire au Défendeur pour réagir aux observations additionnelles du Requérant. Le Défendeur a effectivement complété ses observations par écrit du 10 mars 2008.

Sur proposition du Requérant, et avec l’assentiment du Défendeur, le français a été adopté comme langue de procédure, conformément au paragraphe 11 a) des Règles d’application des Principes Directeurs.

Dans la présente espèce il est nécessaire, préalablement à l’exposé des faits et des moyens des parties, de revenir sur plusieurs incidences soulevées par les parties.

 

4. Questions préliminaires

Le Centre et l’Expert ont été saisis sur différentes questions de procédure tenant

- à l’admissibilité des observations additionnelles adressées par le Requérant

- à la détermination du domicile du Défendeur

- au choix de l’Expert par le Centre

- à l’impartialité et à l’indépendance de l’Expert pour décider cette affaire

Ces éléments font l’objet des développements ci-après.

A) Admissibilité des observations additionnelles adressées par le Requérant

Le Requérant a adressé des observations complémentaires au soutien de sa plainte et a demandé à ce que l’Expert en tienne compte.

Conformément aux points a) et d) du paragraphe 10 des Règles d’application des Principes Directeurs, l’Expert conduit la procédure de la façon qu’il juge appropriée.

En l’espèce, dans la mesure où la réponse du Défendeur soulève de nombreuses questions de droit et de fait, dont certaines ne pouvaient être anticipées – telle que la détermination de son domicile – il est parfaitement approprié d’admettre la recevabilité des observations complémentaires du Requérant. De fait, la majorité des décisions rendues par les commissions administratives en application des Principes Directeurs reconnaissent l’admissibilité des observations additionnelles dans de telles circonstances (en ce sens, De Dietrich Process Systems v. Kemtron Ireland Ltd, Litige OMPI No. D2003-0484).

Toutefois, afin de garantir une parfaite équité entre les parties, l’Expert a invité le Défendeur à réagir à ces observations complémentaires et lui a imparti un délai à cet effet, ainsi que le lui autorise le paragraphe 12 des Règles d’application des Principes Directeurs. Le Défendeur a effectivement saisi l’opportunité qui lui était offerte pour réagir aux nouvelles observations du Requérant.

B) Détermination du domicile du Défendeur

Dans sa réponse, le Défendeur indique qu’il n’est pas de nationalité française mais togolaise, pays dans lequel il réside. Il ajoute que l’adresse figurant sur le whois du nom de domaine litigieux à Paris est une adresse temporaire dans le cadre de ses fonctions statutaires au sein d’une organisation internationale.

La définition de l’adresse du Défendeur est en l’espèce une question essentielle, et ce fondamentalement pour deux raisons : elle est d’une part invoquée de façon récurrente par le Défendeur pour contester le choix de l’Expert. Elle est d’autre part susceptible de jouer un rôle important dans l’évaluation du bien-fondé de la plainte, et notamment de l’appréciation d’une éventuelle mauvaise foi du Défendeur.

(i) Arguments des parties concernant la détermination du domicile du Défendeur

Le Défendeur expose dans sa réponse à la plainte qu’il “n’est pas domicilié en France et n’est pas de nationalité française. Il dispose d’une adresse temporaire (à Paris) dans le cadre de ses fonctions statutaires au sein d’une organisation internationale qui bénéficie d’un statut consulaire, avec protection et immunité diplomatique accordée dans le pays de siège“.

A cet égard, le Défendeur a précisé notamment que “le Défendeur n’a jamais fait valoir son immunité dans l’intention de se soustraire à la procédure. […] Le Défendeur fait valoir son statut de fonctionnaire étranger dans une organisation internationale et surtout fait référence aux droits et devoirs attachés à ce statut pour faire connaître à la commission son adresse de plein droit. […]. Le Défendeur est juridiquement incapable de constituer sur le territoire de chalandise du Requérant une activité commerciale ou professionnelle. […] Le Défendeur affirme n’exercer à ce jour aucune activité commerciale ou professionnelle en vue d’un gain personnel dans l’Etat accréditaire.“

Dans sa communication du 10 mars 2008, le Défendeur a souhaité que le Centre et l’Expert tiennent compte d’une nouvelle adresse dans la ville de Sèvres en France, uniquement aux fins des envois postaux et de la procédure administrative.

Le Requérant demande quant à lui à l’Expert de tirer les conséquences qui s’imposent d’un renseignement erroné du domicile du Défendeur dans la base de données Whois, dans la mesure où un tel agissement “constitue une preuve supplémentaire de sa mauvaise foi“.

(ii) Appréciation de l’Expert

De toute évidence, et ainsi que le reconnaît le Défendeur, la réservation et l’usage du nom de domaine litigieux ne relèvent nullement de ses activités statutaires au sein d’une organisation internationale. En tout état de cause, en enregistrant ledit nom de domaine, le Défendeur a expressément accepté de se soumettre, le cas échéant, à une procédure UDRP.

Le Défendeur expose que l’adresse mentionnée lors de la réservation du nom de domaine litigieux est uniquement temporaire, son domicile réel étant au Togo.

L’Expert relève toutefois que, conformément au paragraphe 2 des Principes directeurs, il appartient au titulaire d’un nom de domaine de fournir des données complètes et exactes le concernant lors de la réservation d’un nom de domaine. Le Défendeur est seul responsable de l’indication de son domicile lors de l’enregistrement d’un nom de domaine, et il lui appartient d’en assumer les conséquences, notamment dans le cadre d’une éventuelle procédure administrative.

Ainsi qu’il en a la faculté, l’Expert a effectué quelques vérifications concernant le Défendeur, et a relevé une série d’informations pertinentes pour déterminer son domicile réel. Certains des éléments mentionnés ci-après ont également été invoqués par le Requérant dans sa plainte, justificatifs à l’appui.

En premier lieu, le Défendeur est titulaire des noms de domaine suivants :

- <linkcrafter.com> enregistré le 22 avril 2004, <wecheese.com> enregistré le 27 avril 2004, et <notre-afrique.com>, enregistré le 2 octobre 2005. Pour ces trois noms de domaine, enregistrés pour les plus anciens depuis bientôt quatre ans, le Défendeur a indiqué être domicilié à la même adresse à Paris.

- <quoi2neuf.com> enregistré le 20 septembre 2002, et pour lequel l’adresse indiquée par le Défendeur est rue Bernos, Lille.

En second lieu, le Défendeur est titulaire des cinq marques françaises suivantes, déposées par ses soins et indiquant son domicile à Paris :

- NOTRE QUARTIER No. FR05 3 363 069 du 3 juin 2005;

- WECHEESE WE SHARE THE CHEESE No. FR 05 3 363 070 du 3 juin 2005;

- MON QUARTIER No. FR 05 3 363 072 du 3 juin 2005;

- CHEQUE QUARTIER No. FR 05 3 363 073 du 3 juin 2005;

- CHEQUE BON VOYAGE No. FR 05 3 373 292 du 29 juillet 2005.

En troisième lieu, plusieurs biographies et curriculum vitae du Défendeur sont disponibles en ligne, dont il ressort notamment :

- Que le Défendeur se définit comme étant un “spécialiste du geo-local sur Internet“, basé sur Paris en tant que “chef d’entreprise“ et responsable du site Linkcrafter. “Le geo-local sur Internet est un sujet qui me passionne depuis plusieurs années et j’en ai fait ma spécialité à ce jour“. Ses domaines de prédilection sont le “webdesign, web-marketing, innovation, management, focused brandstorming“ (voir le lien http://www.6nergies.net/people/115742-mawuna-koutonin-specialiste-du-geo-local--sur-internet);

- Que le Défendeur est également responsable du site de rencontres Wecheese;

- Que le Défendeur présente sur divers sites sa biographie comme suit : “passionné par les nouvelles technologies et les risques qui en sont associés, je développe depuis 97 des outils de mise en relations des gens, de networking social et de protection des personnes dans l’utilisation de ces technologies. Le site de networking social wecheese que j’ai développé connaît un grand succès grâce surtout à son design et les outils innovants de sécurité et de modération mis en place. J’offre aussi des prestations de web design et de e-marketing à travers Linkcrafter“ (voir les liens suivants : http://www.ziki.com/fr/wecheese?gclid=CJy1qfLv6ZECFQcguwodSBp_Ww; http://www.wikio.fr/user3826; http://www.linkedin.com/pub/1/79a/b92).

L’Expert rappellera que le nom du site Wecheese géré par le Défendeur a fait l’objet d’un dépôt de marque en France, à son nom et avec l’indication d’un domicile parisien. De même, le Défendeur mentionne dans les liens ci-dessus qu’il est établi à Paris.

En d’autres termes, il ressort des éléments mis à disposition par le Défendeur lui-même, sur l’Internet, que celui-ci est bien établi en France, depuis un peu plus de dix ans, et qu’il y exerce de surcroît une activité économique en sa qualité de responsable de plusieurs sites Internet, depuis Paris.

En aucun cas le domicile parisien du Défendeur peut être qualifié de temporaire.

Dans ces conditions, l’Expert confirme que le Défendeur est effectivement domicilié en France, et ce depuis plusieurs années, et prend acte de la requête de ce dernier de recevoir toute correspondance concernant cette procédure à son adresse à Sèvres, France.

C) Choix de l’Expert

Par communications des 22, 25, 29 février, 3, 10, 11, 12, 13, 14 et 15 mars 2008, le Défendeur a manifesté son désaccord sur le choix opéré par le Centre pour désigner l’Expert dans cette affaire. Le Requérant ne s’est pas exprimé sur cette question.

(i) Arguments développés par le Défendeur

Le Défendeur s’étonne du choix d’un Expert de nationalité française, alors que l’une des parties, la société requérante Vente-Privee.com, est de nationalité française, et que lui-même est togolais et domicilié au Togo. Il relève à plusieurs reprises qu’un tel choix pourrait “élever des suspicions“, et ce compte tenu notamment de la “nature du capitalisme parisien“.

Dans une première réponse adressée aux parties le 28 février 2008, le Centre a indiqué avoir pris en considération essentiellement “le lieu de résidence avéré des deux parties“. En réponse à cette précision, le Défendeur a rappelé qu’il n’était pas domicilié en France, et qu’il ne disposait dans ce pays que d’une “adresse temporaire avec immunités diplomatiques“.

Le Défendeur a également indiqué ce qui suit dans un autre message : “Le Défendeur souhaite avoir copie des échanges et messages reçus (à propos du choix de l’Expert) de Madame Dehaut afin de porter des contre-arguments si nécessaires. Il y va de la transparence du processus et de crédibilité de l’OMPI. Le Défendeur rendra toutes informations publiques si nécessaires pour attirer l’attention du public sur la transparence du Centre de Médiation de l’OMPI“.

Dans une autre communication, le Défendeur rappelle qu’il “considère comme non équitable et non justifiée la nomination de Madame Dehaut pour juger le litige en cours vu les conditions et circonstances évidentes […] de préférence nationale des français pour les français et la nature particulièrement nationaliste du capitalisme français et des pratiques commerciales parisiennes“.

Enfin, dans sa communication datée du 12 mars 2008, le Défendeur a notamment fait référence aux critères normalement retenus par l’OMPI pour désigner des intermédiaires neutres, parmi lesquels est inclus le critère de “nationalité ou identité des parties et de leurs représentants“, avant de se demander si le Centre a couramment pour pratique de contourner le principe de neutralité. Le Défendeur a également demandé que lui soit communiqué l’identité de la personne qui, au sein du Centre, a effectué le choix de l’Expert dans la présente affaire. Le 14 mars 2008 le Centre a répondu à la communication du Défendeur en indiquant “qu’aucun argument valide n’avait été présenté justifiant la nomination d’un autre expert pour le présent litige.” Le 15 mars 2008 le Défendeur a répondu au Centre en copiant cet Expert réitérant ses critiques concernant la procédure de nomination de l’Expert.

(ii) Appréciation de l’Expert

Indépendamment de la virulence déplacée de ses propos, le Défendeur est légitimement en droit de s’interroger sur la pratique suivie par le Centre pour nommer l’Expert dans ce litige.

Le Défendeur reproche en substance au Centre d’avoir désigné un Expert de nationalité française alors que l’une des parties seulement, en l’espèce le Requérant, est de nationalité française, et que de nombreux autres Experts sont francophones sans pour autant être français.

A cet égard, l’Expert relève en premier lieu que le critère de nationalité des parties, auquel il est fait référence sur le site web de l’OMPI, concerne les arbitres et les médiateurs dans le cadre des procédures d’arbitrage et de médiation. Il ne s’applique pas aux procédures UDRP qui, rappelons-le, ne sont pas des procédures d’arbitrage ou médiation et sont spécifiquement réglementées par les Principes directeurs et les Règles d’application (en ce sens, voir Idées et Patentes S.A.R.L. contre Institut National de la Propriété Industrielle, Litige OMPI No. D2007-1760 et Hesco Bastion Limited contre The Trading Force Limited, Litige OMPI No. D2002-1038). De fait, sur un plan strictement pratique, il convient de tenir compte du fait que les personnes physiques et morales n’indiquent pas leur nationalité lors de la réservation de noms de domaine génériques.

En second lieu, si le Centre désigne habituellement des Experts domiciliés dans un pays tiers lorsque les parties sont domiciliées dans des Etats différents, il désigne en revanche un Expert résidant dans le même pays que les parties, si celles-ci sont domiciliés dans le même territoire. Une telle pratique est amplement justifiée par la possibilité offerte aux parties de compter sur un Expert ayant une bonne connaissance notamment du territoire de référence et des pratiques commerciales du territoire de référence. A cet égard, l’Expert relève par exemple que le Défendeur fonde largement sa défense sur le droit français des marques et sur une abondante jurisprudence des tribunaux français. Or, il peut être pertinent que l’Expert ait une bonne connaissance du droit invoqué, même si ses incidences sont limitées dans le cadre de cette procédure.

Dans un cas comme dans l’autre, la pratique du Centre tient compte du critère de résidence des parties. En l’espèce, et ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus, tant le Requérant que le Défendeur sont domiciliés en France. De fait les critiques formulées par le Défendeur à l’encontre du choix du Centre sont d’autant plus malvenues que ce dernier a délibérément tenté de tromper le Requérant, le Centre et l’Expert sur son domicile réel, ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus.

Dans ces conditions, le choix de l’Expert, dont le nom figure sur la liste rendue publique par le Centre, est conforme au paragraphe 6 b) des Règles d’application.

De même, le Centre n’est en aucun cas tenu de divulguer le nom de la ou les personne(s) ayant arrêté le choix de l’Expert. Il n’est pas inutile de rappeler, à cet égard et compte tenu également des insinuations de divulgation au public de pratiques prétendument partiales du Centre, que conformément au paragraphe 20 des Règles d’application, l’OMPI et la commission administrative sont “dégagés de toute responsabilité à l’égard des parties en ce qui concerne tous actes ou omissions en rapport avec une procédure administrative conduite en vertu des présentes règles“, et ce “sauf en cas d’action fautive délibérée“. De toute évidence, il n’y a eu en l’espèce aucune infraction délibérée aux Principes Directeurs et aux Règles d’application.

D) Impartialité et indépendance de l’Expert

Dans les communications mentionnées au point C) ci-dessus, le Défendeur a également émis des réserves sur ‘impartialité et l’indépendance de l’Expert pour émettre une décision dans cette affaire’. Le Requérant ne s’est pas exprimé non plus sur cette question.

(i) Arguments développés par le Défendeur

Le Défendeur a expressément fait part de ses “suspicions non négligeables“ concernant l’impartialité de l’Expert. A l’appui de ses propos, il a exposé les éléments suivants :

D’une part, L’Expert aurait omis de déclarer au Centre un conflit d’intérêt dans le cadre d’une précédente affaire, identifiée sous la référence LES ECHOS contre KLTE Ltd, Litige OMPI No. DFR2005-0012, alors que ledit Expert est intervenu dans le cadre d’une conférence organisée par le Requérant dans ce contentieux.

D’autre part, l’Expert est membre du même organisme professionnel que le mandataire du Requérant dans la présente espèce, à savoir la Compagnie Nationale des Conseils en Propriété Industrielle. Le Défendeur en déduit notamment des liens de connivence potentielle entre l’Expert et le mandataire du Requérant.

Enfin, du fait du “nationalisme des français“, l’Expert risque d’avoir un préjugé favorable au Requérant.

Le Défendeur a dès lors demandé à ce que l’Expert se dessaisisse de ce dossier.

(ii) Appréciation de l’Expert

Au même titre que la question relative au choix de l’Expert, les parties ont légitimement le droit de faire valoir toute inquiétude relative à l’impartialité de l’Expert. Elles sont en droit d’obtenir une réponse précise à leurs allégations sur cette question, et ce quand bien même aucune procédure ad hoc n’est prévue dans les Principes directeurs. Il est essentiel que la procédure UDRP soit conduite dans le respect de normes d’équité, avec des Experts indépendants des parties, et impartiaux.

Sur la question de l’impartialité et de l’indépendance de l’Expert, le paragraphe 7 des Règles d’application dispose que “tout membre d’une commission doit être impartial et indépendant et, avant d’accepter sa nomination, doit faire connaître à l’institution de règlement toute circonstance de nature à soulever un doute sérieux sur son impartialité ou son indépendance […].

Très rares sont les décisions qui, à ce jour, se sont penchées sur la question de l’impartialité de l’Expert. La commission administrative saisie dans l’affaire Britannia Building Society contre Britannia Fraud Prevention, Litige OMPI No. D2001-0505, a retenu trois critères pouvant justifier un dessaisissement de l’Expert : d’une part si l’une des parties démontre un préjugé ou parti pris à l’encontre de l’une des parties, d’autre part si le résultat de la plainte peut avoir des incidences financières pour l’Expert, et enfin si l’Expert a représenté préalablement une des parties, ou un tiers à l’encontre de l’une des parties. La commission administrative saisie dans cette affaire a également ajouté qu’une demande de dessaisissement doit être fondée sur des preuves spécifiques, et ne peut reposer sur de simples insinuations.

En l’espèce l’Expert n’a, ni avant le dépôt de la plainte, ni depuis, eu de contact personnel ou professionnel avec les parties, et est de fait parfaitement indépendant de celles-ci.

Concernant la procédure LES ECHOS contre KLTE Ltd, Litige OMPI No. DFR2005-0012 et la non divulgation d’un prétendu conflit d’intérêt de l’Expert, les allégations du Défendeur sont manifestement infondées. Il suffira à cet égard de relever que la participation de l’Expert à la conférence mentionnée par le Défendeur est intervenue deux ans après cette procédure.

Le moyen tiré de l’appartenance du mandataire du Requérant et de l’Expert à un même ordre professionnel est tout autant infondé. Le mandataire du Requérant et l’Expert sont tous deux conseils en propriété industrielle. Cette profession est réglementée et son statut et la déontologie sont notamment régis en France par la loi 90-1052 du 26 novembre 1990 et le décret 92-360 du 1 avril 1992. Le Défendeur se contente d’insinuer qu’il existe une connivence entre l’Expert et le mandataire du Requérant, sans apporter d’éléments concrets. Dans l’affaire United Services Automobile Association contre Ang Wa Assoc, Litige OMPI No. D2004-0535, la commission administrative a estimé que le statut commun de Queen’s Counsel du mandataire de l’une des parties et de l’Expert ne justifiait pas un désistement. Dans l’affaire Britannia Building Society contre Britannia Fraud Prevention, Litige OMPI No. D2001-0505, susmentionnée, la commission administrative a estimé que l’Expert ne saurait être dessaisi, ou se désister, du seul fait de sa condition d’avocat de droit des affaires, et de l’existence d’une succursale de son Cabinet à Londres, ville où était domicilié le requérant de l’une des parties. Enfin, dans l’affaire Rosa Montero Gallo contre Galileo Asesores S.L., Litige OMPI No. D2000-1649, la commission administrative a refusé de se dessaisir compte tenu de la qualité d’Expert auprès du Centre du mandataire de l’une des parties.

Quant au prétendu nationalisme des français, il s’agit là d’une appréciation purement subjective dont l’Expert laisse la seule responsabilité au Défendeur, et qui en tout état de cause ne saurait être prise sérieusement en compte.

En définitive, aucun des éléments avancés par le Défendeur ne permet de justifier un éventuel dessaisissement ou désistement de l’Expert.

 

5. Les faits

Le Requérant exploite un site Internet créé en 2000 et dédié à la vente évènementielle de produits de marques. Ce site a acquis en quelques années une notoriété incontestable, ainsi qu’en attestent les nombreux documents et coupures de presse versés à la plainte. L’Expert retient notamment que :

Le blog implanté dans le site web du Requérant est la plus visité de France, avec plus de 100.000 visiteurs par mois;

Le site du Requérant est visité par plus de 3.000.000 de visiteurs par mois (nombre de visiteurs uniques);

Une française sur deux fréquente le site “www.vente-privee.com”;

En février 2006, le site “www.vente-privee.com” comptait parmi les 20 sites marchands les plus visités en Europe;

Toutes catégories confondues, le site du Requérant est le 24e site français le plus visité;

Près de 2,5 millions de personnes étaient inscrites sur le site “www.vente-privee.com” en mai 2006;

Le chiffre d’affaires du Requérant s’est élevé, en 2006, à près de 230 millions d’euros.

La société Vente-Privee.com est notamment titulaire des droits de marque suivants :

VENTE PRIVEE.COM, marque française déposée le 17 décembre 2003, enregistrée sous le n° 03/3.263.431 ;

VENTE-PRIVEE.COM, marque française déposée le 14 octobre 2004, enregistrée sous le n° 04/3.318.310 ;

VENTE-PRIVEE, marque française déposée le 23 novembre 2005, enregistrée sous le n° 05/3.393.310 ;

VENTE-PRIVEE.COM, FAITES-VOUS INTERDIRE, marque française déposée le 13 juillet 2006, enregistrée sous le n° 06/3.440.679 ;

VENTE-PRIVEE.COM, marque communautaire déposée le 18 octobre 2004, enregistrée le 28 novembre 2005 sous le n° 004.079.554 ;

VENTE-PRIVEE.COM, marque communautaire déposée le 24 octobre 2006 sous le n° 005.413.018, en cours d’enregistrement.

Elle détient également un certain nombre de noms de domaine suivants, via lesquels les internautes peuvent accéder à son site, à savoir notamment : <vente-privee.com>; <venteprivee.com; <vente-privee.fr; <vente-privee.net; <vente-privee.eu>.

Le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux le 7 janvier 2007. Les internautes accédant à ce site sont renvoyés à un site de parking.

Il n’y a pas eu d’échange entre les parties préalable à l’introduction de la plainte.

 

6. Argumentation des parties

Les parties ont fait valoir des arguments très développés, et ont adressé une documentation volumineuse au soutien de leur cause. Leur argumentation peut être résumée comme suit.

A. Requérant

Concernant la comparaison des signes, le Requérant estime que le nom de domaine litigieux est quasiment identique aux marques antérieures qu’il détient. Il ajoute que l’expression “vente-privee“ constitue leur élément essentiel et dominant. La société Vente-Privee.com ajoute que les extensions propres aux noms de domaine sont “nécessairement dépourvues de caractère distinctif“.

Concernant les éventuels droits détenus par le Défendeur sur l’expression VENTE-PRIVEE, le Requérant indique avoir effectué quelques recherches – sur les bases de données de marques françaises notamment – qui n’ont pas permis de relever de droits sur l’expression VENTE PRIVEE au nom du Défendeur. Il ajoute qu’il n’a pas autorisé le Défendeur à réserver ou exploiter le nom de domaine litigieux, notamment par le biais d’une licence, et que le Défendeur n’a “jamais formé de réclamation à l’encontre de l’exploitation de la dénomination VENTE-PRIVEE.COM par le Requérant“.

Sur la question de l’intérêt légitime du Défendeur à enregistrer et exploiter le nom de domaine litigieux, le Requérant estime que ce dernier n’effectue ni un usage légitime, ni un usage loyal dudit nom de domaine, en invoquant que celui-ci pointe vers un site comprenant des liens hypertextes publicitaires, notamment vers le site de la société 24H00, concurrent du Requérant. Par ailleurs, le nom de domaine incriminé ne serait pas utilisé en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services.

Le Requérant observe ainsi :

- que le nom de domaine, pourtant réservé il y a plus d’un an, n’héberge toujours pas de contenu propre et réel;

- que l’expression “vente-privee” est distinctive, puisque “l’expression consacrée pour désigner le type de ventes organisées par le Requérant (est) ‘vente évènementielle’“.

Sur le chapitre de la mauvaise foi, le Requérant expose notamment :

- Que le Défendeur fait un usage commercial et lucratif du nom de domaine litigieux via une page de parking, que l’exploitation de ce nom de domaine “opère nécessairement un détournement des internautes“, que “compte tenu de la quasi identité entre le nom de domaine litigieux et les marques du Requérant, d’une part, et de la proximité des activités des parties à cette procédure, d’autre part, il existe nécessairement un risque de confusion entre les activités des parties à ce litige”.

- Que, selon lui, “il est probable que les coordonnées du Défendeur renseignées dans la base de données Whois soient erronées“.

- Que “la notoriété des droits du Requérant empêche le Défendeur d’avoir pu préserver et exploiter le nom de domaine litigieux sans avoir eu connaissance de ces droits“;

- Que “le Défendeur ne peut d’autant moins ignorer les droits du Requérant et les conséquences de ses agissements qu’il se présente lui-même comme un spécialiste de l’Internet.

- Que “l’enregistrement et l’exploitation du nom de domaine litigieux perturbent les opérations commerciales du Requérant.”

B. Défendeur

L’Expert a déjà rappelé une partie des arguments exposés par le Défendeur dans ses différentes communications liées aux questions préliminaires relatives à ce litige. Concernant concrètement les éléments sur lesquels l’Expert doit fonder sa décision, le Défendeur expose essentiellement ce qui suit.

Sur la question de la confusion entre le nom de domaine incriminé et une marque sur laquelle le Requérant a des droits, le Défendeur expose :

- Que les droits invoqués par Vente-Privee, et leur notoriété présumée, sont limités à un territoire restreint, France ou Europe tout au plus, et n’ont pas de portée mondiale;

- Qu’en application du principe de spécialité, le Requérant ne saurait opposer des droits limités à certaines activités à l’encontre d’activités distinctes. Le Défendeur projette d’exploiter son nom de domaine dans le domaine audiovisuel, domaine pour lequel les marques du Requérant ne sont ni protégées ni exploitées;

- Que la langue française est parlée dans 55 pays et que, par conséquent, l’utilisation du français dans le site incriminé n’est pas uniquement réservé à la France;

- Que le pointage du nom de domaine vers un site de parking n’équivaut pas à une exploitation dudit site. Sur ce point le Défendeur invoque entre autres décisions judiciaires françaises un arrêt de la cour de cassation de 2005 au terme duquel “la réservation d’un nom de domaine en soi, sans utilisation réelle de ce nom de domaine, ne constitue pas un acte de contrefaçon“, et en conclut que “s’il n’y a aucun site actif, la comparaison ne peut se faire et la notion de risque de confusion est inopérante“;

- Que les juridictions françaises ont écarté l’existence d’actes de contrefaçon dans plusieurs conflits impliquant des droits de marque et des noms de domaines – affaires Issytv, Locatour et Saveurs –, en écartant notamment la possibilité d’invoquer uniquement des droits de marque antérieurs visant des services de télécommunication, en classe 38. Dans ces différentes décisions, les juges ont rappelé de tenir compte du contenu effectif des sites incriminés;

- Que le Requérant “n’a jamais défendu de façon systématique un droit d’usage exclusif de l’expression ‘vente-privee’ sur son territoire de chalandise“. A cet égard le Défendeur cite une très longue liste de noms de domaine comprenant l’expression “vente privee“ (ou semblable), ou de sites utilisant le slogan “vente-privee“ ou utilisant cette expression à titre de marque et de mots clés sponsorisés, et non liés à la société Vente-Privee.com.

- Que le Requérant lui-même a des doutes sur la possibilité d’invoquer des droits exclusifs sur l’expression “vente privee“ prise isolément, ainsi qu’il ressort d’un article versé au dossier;

- Qu’une “action en nullité est en cours contre le Requérant […] au motif que le signe “vente-privee“ ne remplit pas les conditions requises pour constituer une marque valable“;

Sur la question de ses droits et intérêts légitimes, le Défendeur indique :

- Qu’il travaille sur un projet audiovisuel dont le nom de domaine incriminé sera le support;

- Qu’il ne peut lui être reproché de n’avoir pas exploité un nom de domaine enregistré depuis seulement un an;

Enfin, sur la question de la mauvaise foi, le Défendeur précise :

- Que le nom de domaine litigieux a été parqué chez le Registrar GoDaddy dans l’attente de son exploitation;

- Que l’extension naturelle de la marque VENTE-PRIVEE.COM en .tv doit être vente-privee.com.tv;

- Que “l’enregistrement d’un nom de domaine est en lui-même neutre, de même que l’est le support que constitue un site Internet; en l’espèce, il n’est pas établi que l’enregistrement du nom de domaine litigieux concerne les services pour lesquels la protection de la marque est revendiquée, voire des services similaires“.

- Qu’il “ignore la notoriété du Requérant sur son territoire de chalandise ou dans son secteur d’activité“;

- Que, “vu le caractère non ambigu de l’extension .tv (clairement destinée à un type précis d’activité), de la disponibilité de cette extension depuis plusieurs années déjà, vu le non intérêt manifeste du Requérant pour cette extension durant toutes ces années et du fait aussi de l’absence d’activité réelle ou prouvée du Requérant dans le secteur de l’audiovisuel, […] la Commission retiendra que le Défendeur ne viole aucun droit antérieur du Requérant, même s’il avait connaissance de l’activité et de la notoriété du Requérant“;

- Qu’au moment du litige, il “ne saurait être en mesure de développer une activité commerciale sur le territoire de chalandise du Requérant étant donné qu’il en est juridiquement incapable“, et ce du fait de son statut particulier mentionné précédemment;

- Que “ce litige est une pure construction théorique de la part du Requérant, très peu fondé sur des faits, des preuves et des règles de droits et de jurisprudence applicables, mais plutôt une simple série d’allégations infondées, d’affirmations approximatives avec comme seule motivation l’obsession du profit et de prédation sauvage par détournement des voies et moyens d’arbitrage. Le Défendeur se réserve le droit de demander ultérieurement réparations des dommages subis comme suite à ce qu’il considère comme un abus de procédure de la part du Requérant“.

 

7. Discussion et conclusions

Le paragraphe 4(a) des Principes directeurs impose au Requérant d’apporter la preuve que les trois conditions suivantes sont réunies cumulativement :

- Le nom de domaine est identique ou semblable au point de prêter à confusion, à une marque de produits ou de services sur laquelle le Requérant a des droits,

- Le Défendeur ne dispose d’aucun droit sur le nom de domaine ni aucun intérêt légitime qui s’y attache,

- Le nom de domaine est enregistré et utilisé de mauvaise foi.

Chacun de ces points sera examiné ci-après à la lumière des arguments des parties.

A. Identité ou similitude prêtant à confusion

Il convient, en premier lieu, de corriger une méprise du Défendeur concernant le droit applicable au présent litige. Le Règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine est une procédure sui generis adoptée par l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN), et l’Expert doit statuer sur la présente plainte uniquement en application des Principes directeurs et des Règles d’application. Concrètement, il appartient à l’Expert de déterminer si le Requérant a démontré que les trois critères rappelés ci-dessus sont réunis.

Ceci sans préjudice de références à des législations nationales, par exemple pour statuer sur l’existence d’un droit de marque invoqué par l’une des parties (voir en ce sens l’affaire, Sopal society contre Packalpha, Litige OMPI No. D2004-0568). Mais, en tout état de cause, il n’appartient pas à l’Expert de statuer sur l’existence d’éventuels actes de contrefaçon en application d’une législation nationale.

Concernant plus particulièrement le critère d’identité ou de confusion du nom de domaine litigieux avec les marques antérieures du Requérant, la seule application des Principes directeurs implique :

- Qu’il est indifférent que le Requérant soit titulaire d’un seul ou de nombreux droits de marque, dans un seul ou dans de nombreux territoires. Aucun critère de territorialité n’est applicable sur ce point;

- Qu’il est indifférent que les marques du Requérant soient enregistrées pour une catégorie ou une autre de produits et services;

- Que sont sans incidence sur l’application de ce critère les décisions de justice françaises citées par le Défendeur en matière de contrefaçon de droits de marque sur l’Internet;

- Qu’il est indifférent que le nom de domaine litigieux ait été enregistré sous l’extension .TV, destinée au secteur de l’audiovisuel. De fait, il convient de préciser que l’extension .TV correspond légalement non pas à une activité, mais à un pays, le Tuvalu.

En l’espèce, le Requérant a démontré être titulaire de droits de marque portant sur le signe VENTE-PRIVEE.COM ou VENTE-PRIVEE. Les marques jointes à la plainte ont été déposées avant la réservation du nom de domaine litigieux.

Le Défendeur mentionne dans ses écritures que la marque française VENTE-PRIVEE du Requérant fait actuellement l’objet d’une demande en nullité, sur laquelle il semblerait que la juridiction saisie n’ait pas encore statué. L’Expert ne dispose d’aucun élément sur le déroulement de cette procédure, mais considère que l’existence d’une telle action n’est pas déterminante en l’espèce, dans la mesure notamment où la société Vente-Privee.com dispose d’autres droits de marque portant sur le signe VENTE-PRIVEE.COM (avec, le cas échéant, des éléments figuratifs). De fait, mentionnant l’existence de cette procédure, la commission administrative saisie dans l’affaire Vente-Privee.com contre Switch, Litige OMPI No. DFR 2007-0029 a estimé qu’ “il est […] indifférent qu’une procédure devant les juridictions judiciaires françaises ait été engagée puisque, au jour de l’enregistrement des noms de domaine litigieux, les signes distinctifs du Requérant n’avaient pas fait l’objet d’une annulation prononcée par une décision de justice ayant autorité de la chose jugée“.

Concernant la comparaison des signes, l’Expert estime qu’est inexacte l’affirmation du Requérant selon laquelle l’extension de premier niveau d’un nom de domaine serait “nécessairement dépourvue de caractère distinctif“. Cela est effectivement généralement le cas, mais une analyse au coup par coup s’impose. Il suffira, pour s’en convaincre, de rappeler à titre d’illustration une décision rendue par les chambres de recours de l’Office de l’Harmonisation dans le Marché Intérieur (OHMI), organisme chargé de l’enregistrement des marques communautaires, dans une affaire impliquant les marques LASTMINUTE.COM et LAST MINUTE TOUR. Par arrêt du 8 février 2007, cet organisme a considéré que la distinctivité élevée attachée à la marque antérieure concernait l’expression LASTMINUTE.COM prise dans son ensemble, et non l’expression LASTMINUTE seule.

En l’espèce, au vu des nombreux documents versés au dossier, l’Expert estime que le Requérant a essentiellement démontré la notoriété de l’expression VENTE-PRIVEE.COM prise dans son ensemble, et non de l’expression VENTE-PRIVEE prise isolément. Cette constatation est confortée par le choix même de la dénomination sociale du Requérant, Vente-Privee.com.

Nonobstant cette précision, l’Expert estime qu’il existe une similitude de nature à prêter confusion entre le nom de domaine <vente-privee.tv> et les marques VENTE-PRIVEE.COM et VENTE-PRIVEE. Cette similitude tient d’une part à la reprise à l’identique de l’expression “vente-privee”, dont les termes sont associés par un tiret, et d’autre part à l’adjonction d’un nom de domaine de premier niveau.

B. Droits ou légitimes intérêts

Le paragraphe 4(c) des Principes directeurs énumère de manière non-exhaustive un certain nombre de circonstances de nature à établir les droits ou l’intérêt légitime du défendeur sur le nom de domaine telles que :

(i) avant d’avoir eu connaissance du litige, le défendeur a utilisé le nom de domaine ou un nom correspondant au nom de domaine en relation avec une offre de bonne foi de produits ou de services, ou fait des préparatifs sérieux à cet effet,

(ii) le défendeur (individu, entreprise ou autre organisation) est connu sous le nom de domaine considéré, même sans avoir acquis de droits sur une marque de produits ou de services, ou

(iii) le défendeur fait un usage non commercial légitime ou un usage loyal du nom de domaine sans intention de détourner à des fins lucratives les consommateurs en créant une confusion ni de ternir la marque de produits ou de services en cause.

Concernant les éventuels droits ou intérêts légitimes du Défendeur sur le nom de domaine litigieux, la société Vente-Privee.com a mentionné avoir effectué diverses vérifications n’ayant pas permis d’aboutir à une telle constatation.

Comme il est habituel dans les procédures UDRP, les difficultés liées à la probatio diabolica mettent à la charge du défendeur la démonstration de l’existence d’un droit ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux.

Le Défendeur mentionne à juste titre qu’il ne peut lui être reproché de n’avoir pas exploité le nom de domaine litigieux dans une période d’un an suivant son enregistrement. Ce laps de temps ne peut être qualifié d’anormalement long.

En revanche, le Défendeur n’a pas justifié d’un quelconque droit – dépôt de marque par exemple – ou intérêt légitime sur le nom de domaine litigieux. Même s’il était exact que le Défendeur prépare un projet audiovisuel - ce qui reste à démontrer –, il n’explique pas la nature du lien entre ledit projet et l’enregistrement du nom de domaine <vente-privee.tv>.

Concernant l’argument selon lequel l’intérêt légitime du Défendeur pourrait être déduit du caractère prétendument générique de l’expression “vente-privee”, l’Expert précise qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur cette question et que, comme l’a rappelé la commission administrative dans l’affaire Litige OMPI No. DFR2007-0029 rappelée précédemment, la marque VENTE-PRIVEE était en vigueur au moment de la réservation du nom de domaine litigieux, dans le territoire de résidence du Défendeur.

Dans ces conditions, l’Expert constate que le Défendeur n’a pas été en mesure de remettre en cause les affirmations du Requérant selon lesquelles il ne dispose pas de droits ou intérêts légitimes sur le nom de domaine litigieux.

C. Enregistrement et usage de mauvaise foi

Selon le paragraphe 4(b) des Principes directeurs, la réalisation de l’une des circonstances suivantes est susceptible d’établir que le nom de domaine a été enregistré et utilisé de mauvaise foi :

i ) les faits montrent que le défendeur a enregistré ou acquis le nom de domaine essentiellement aux fins de vendre, de louer ou de céder d’une autre manière l’enregistrement de ce nom de domaine au requérant qui est le propriétaire de la marque de produits ou de services, ou à un concurrent de celui-ci, à titre onéreux et pour un prix excédant le montant des frais qu’il peut prouver avoir déboursé en rapport direct avec ce nom de domaine,

ii) le défendeur a enregistré le nom de domaine en vue d’empêcher le propriétaire de la marque de produits ou de services de reprendre sa marque sous forme de nom de domaine, et est coutumier d’une telle pratique,

iii) le défendeur a enregistré le nom de domaine essentiellement en vue de perturber les opérations commerciales d’un concurrent, ou

iv) en utilisant ce nom de domaine, le défendeur a sciemment tenté d’attirer, à des fins lucratives, les utilisateurs de l’Internet sur un espace Web ou autre site en ligne lui appartenant, en créant une probabilité de confusion avec la marque du requérant en ce qui concerne la source, le commanditaire, l’affiliation ou l’approbation de son espace ou espace Web ou d’un produit ou service qui y est proposé.

Ainsi qu’il a été rappelé précédemment, le Défendeur réside en France depuis plusieurs années. Par ailleurs le Défendeur est, de toute évidence, un grand expert dans le domaine de l’Internet. Il gère différents sites de qualité, tient un blog et participe à des forums tenus à Paris concernant l’Internet (organisés par exemple par Lycos ou Google). Ses connaissances couvrent de nombreux aspects du commerce en ligne, du design jusqu’au e-marketing.

Aussi, le Défendeur avait nécessairement connaissance du site “www.vente-privee.com“ lors de l’enregistrement du nom de domaine <vente-privee.tv>, compte tenu de la notoriété grandissante de ce site parmi les internautes, et de sa croissance spectaculaire. Peu de crédit peut être attribué aux indications du Défendeur en sens contraire.

Concernant la question de l’exploitation du nom de domaine litigieux, la seule application des Principes directeurs à la présente espèce implique que sont indifférentes les références à la notion d’exploitation d’un site Internet dans la jurisprudence française. Or, sur cette question, il existe un consensus entre les commissions administratives pour considérer qu’il peut exister un usage de mauvaise foi quand bien même un nom de domaine n’est pas actif (voir à cet égard la fameuse décision Telstra Corporation Limited contre Nuclear Marshmallows, Litige OMPI No. D2000-0003).

En tout état de cause, le Défendeur peut difficilement prétendre que le nom de domaine <vente-privee.tv> n’est pas exploité en l’espèce dans la mesure où celui-ci permet aux internautes d’accéder à une page de parking hébergée par le Registrar Go Daddy, et offrant à ceux-ci divers liens commerciaux.

Le Défendeur ne nie pas que la page de parking offre comme premier lien un accès vers le site 24H00, principal concurrent de la société Vente-Privee.com en France. Il ne nie pas non plus que ce site soit disponible en français, ce qui constitue un indice supplémentaire de mauvaise foi.

Il affirme en revanche qu’il n’est nullement responsable du contenu de ce site, et qu’il ne touche aucun revenu en profitant du système de pay-per-click.

Dans la présente espèce, il n’est pas nécessaire pour l’Expert de trancher le débat ouvert entre les parties concernant les conditions dans lesquelles la page de parking est exploitée et les revenus qu’elle est susceptible de générer pour le titulaire du nom de domaine.

Il suffit en effet de relever que, conformément à la jurisprudence des commissions administratives, le Défendeur ne peut valablement se décharger de sa responsabilité concernant les liens offerts sur le site, lesquels concernent l’activité du Requérant et de ses concurrents. Le titulaire du nom de domaine est le premier responsable du contenu du site dont il est titulaire, quand bien même une tierce personne (ou un programme informatique) s’est chargée de choisir les liens commerciaux. Ce point de vue est défendu notamment dans les décisions NVT Birmingham, LLC d/b/a CBS 42 WIAT-TV contre ZJ, Litige OMPI No. D2007-1079, Grundfos A/S contre Texas International property Associates, Litige OMPI No. D2007-1448, Starwood Hotels & Resorts Worldwide, Inc., Sheraton, LLC, and Sheraton International Inc. v. Jake Porter, Litige OMPI No. D2007-1254, Grisoft, s.r.o. contre Original Web Ventures Inc., Litige OMPI No. D2006-1381 et l’Expert s’y associe pleinement.

Le Défendeur ne peut ignorer que, au même titre que les nombreux clients de la société Vente-Privee.com accèdent à ses services par le biais des noms de domaines <vente-privee.com>, <venteprivee.com>, <vente-privee.fr>, <vente-privee.net>, <vente-privee.be>, <vente-privee.eu>, ils sont également susceptibles de recourir au nom de domaine <vente-privee.tv>, ou à tout le moins de croire que ce nom de domaine est lié à l’activité du Requérant.

L’attitude de le Défendeur dans le cadre de cette procédure illustre également sa mauvaise foi : ce dernier a délibérément tenté de tromper le Centre, le Requérant et l’Expert sur son domicile exact, à longueur de communications, afin notamment qu’il ne puisse lui être reproché d’avoir eu connaissance du fameux site “www.vente-privee.com”.

Pour ces motifs, l’Expert considère que le Défendeur a bien agi de mauvaise foi lors de la réservation et de l’usage du nom de domaine litigieux, en perturbant notamment les opérations commerciales de la société Vente-Privee.com, du fait du risque de confusion créé et du détournement potentiel d’utilisateurs vers des sites concurrents.

Le Requérant a démontré que les trois conditions mentionnées au paragraphe 4(b) des Principes directeurs sont réunies, et dans ces conditions il y a lieu de faire droit à sa demande.

 

8. Décision

Pour les raisons mentionnées ci-dessus, et en application du paragraphe 4(b) des Principes directeurs, il est fait droit à la plainte et l’Expert ordonne le transfert du nom de domaine <vente-privee.tv> au profit du Requérant.


Martine Dehaut
Expert Unique

Le 17 mars 2008

 

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